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Blog littéraire.


L'apatride appartient seulement aux paysages

Publié par olrach sur 1 Juin 2016, 16:06pm

 

      Dans le poème de Baudelaire, « Moesta et errabunda », triste et vagabonde, le poète évoquait le « vert paradis des amours enfantines ». Paradis perdu de l’enfance dont les sensations colorantes entrent en résonance avec nos aspirations les plus tenaces. L’enfance indienne de Lawrence Durrell, auteur renommé du Quatuor d’Alexandrie, auquel Béatrice Commengé consacre un ouvrage à mi-chemin entre l’essai vagabond et le roman intimiste, fut placée sous le signe de l'ailleurs, à Kurseong, dans le district du Darjeeling. Enfance passée dans un collège jésuite d’où on pouvait apercevoir, se détachant somptueusement parfois d’un ciel bleu azur, un des sommets enneigés de cette demeure des neiges, plus connue sous le nom d’Himalaya. Là réside, selon l’essayiste, la clef d’une errance toujours recherchée qui conduira Durrell à arpenter les routes du monde, de l’Angleterre à la Grèce, en passant par l’Egypte et l’Argentine. « IL N’Y A QUE L’ESPACE, les mots de Larry, en lettres majuscules, se mirent à danser sur les pentes brunes des montagnes, entre moi et le blanc », écrit Béatrice Commengé, qui partit sur les traces de l’auteur pour témoigner de la prégnance en lui du sublime qui nourrira toute son œuvre.

     L’année 1923 fut pour Durrell celle du déracinement. Envoyé par son père dans la capitale d’un empire britannique déjà sur le déclin, l’écrivain n’aura de cesse de rechercher, à l’image du héros de Citizen Kane, les boutons de rose de son enfance, la splendeur d’un paysage ouvrant sur l’infini. Expérience d’une forme de révélation qui est le premier pas que l’on accomplit dans le registre de la connaissance. Le monde est là et je peux le comprendre, habiter en somme le temps par lequel s’ouvre et se referme mon existence. En des pages de toute beauté, Béatrice Commengé accompagne les errances d’un homme qui découvrira tour à tour la lumière éclatante de la Grèce, à Corfou ; puis ce carrefour des civilisations que fut la ville d’Alexandrie fondée par un empereur grec dont le rêve aura été « de relier l’Inde à la Grèce ». Ville dans laquelle Durrell se réfugie pour fuir une Europe, à feu et à sang, dans les années 1940. Ville de transit qui deviendra le symbole même de son aspiration créatrice. Car c’est d’Alexandrie que proviendra la grande œuvre polyphonique de celui qui marcha sur les pas de Cavafy.

      Alexandrie, berceau d’une civilisation méditerranéenne dont l’auteur nous rappelle qu’elle reste le lieu de passage de tous les apatrides. Du héros grec Ulysse aux migrants d’aujourd’hui, en passant par les pieds noirs de toute origine dont beaucoup auront fui l’Algérie, pays natal de Béatrice Commengé elle-même. Ce qu’on appelle encore Europe ou méditerranée trouve son origine et sa pulsation rythmique dans un brassage de cultures et de civilisations dont on semble parfois oublier l’incommensurable splendeur. Nous suivons alors avec intérêt les voyages d’un écrivain qui, toute sa vie, fut hanté par le Traité du sublime du Pseudo- Longin et qui n’eut de cesse d’accoster aux rivages heureux d’un paradis perdu toujours à reconstruire. Les paysages sont les protagonistes de cet ouvrage magnifique où l’on marche sur les pas de la déesse de l’Amour, à Chypre ou à Sommières, dans la maison provençale du romancier où il accueillit, l’été 1976, Béatrice Commengé, en lui demandant si elle aimait l’Indian Curry ! « Il se promenait dans un paysage dont on l’avait arraché à onze ans et qu’il n’avait jamais revu, écrit l’auteur. J’étais venue chercher la Provence, la Grèce, l’Egypte, Alexandrie, et il m’offrait l’Himalaya. » Qu’un romancier finisse par se confondre avec les lieux qu’il a célébrés est sans doute la marque des plus grands !

Béatrice Commengé, Une vie de paysages, Editions Verdier.

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