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Blog littéraire.


La fabrique d'un best-seller

Publié par olivier rachet sur 8 Novembre 2016, 11:03am

 

    L’intrigue est connue. Inspirée d’un fait divers survenu aux Etats-Unis, en 2012, la lauréate du dernier prix Goncourt, Leïla Slimani, met en scène, dans Chanson douce, un infanticide commis par une jeune nourrice, prénommée Louise. Celle-ci est engagée par un couple de la classe moyenne supérieure pour s’occuper de leurs deux enfants, Adam et Mila. Paul, le père, est ingénieur du son tandis que sa compagne, Myriam travaille dans un cabinet d’avocats. Elle se spécialisera, d’ailleurs, dans les affaires criminelles, pour mieux faire ressortir l’aveuglement du personnage. Tout cela est cousu de fil blanc mais les grandes ficelles fonctionnent souvent assez bien.

 

    L’entrée en matière du roman a été largement commentée. « Le bébé est mort. » L’accroche n’est pas sans rappeler l’incipit de L’Etranger d’Albert Camus dont la romancière essaye, tant bien que mal, de plagier la sècheresse stylistique. On peut s’étonner légitimement de l’unanimité élogieuse qui entoure une écriture, qualifiée par les uns de « clinique », par les autres de « radicale », quand la romancière n’écrit pas « au scalpel », en disséquant les préjugés d’une bourgeoisie pétrie de ressentiment et d’idées préconçues. Ces métaphores mettent bien en évidence le vide sidéral de la critique littéraire contemporaine, ayant abandonné le terrain fécond des sciences humaines pour s’enferrer dans des concepts fumeux dictés par des agents en communication. Les mêmes qui inspirent les politiques,  adeptes des sacro-saints éléments de langage et incapables de penser par eux-mêmes. 

 

    La construction du roman est pour le moins paresseuse. Débuter par une prolepse ou flash forward nous révélant le meurtre des enfants aurait pu capter l’attention du lecteur si la narratrice avait eu l’intelligence de mener une enquête beaucoup plus approfondie sur une protagoniste qui nous restera à jamais étrangère. Mais le manichéisme du récit opposant deux milieux sociaux incapables de se rencontrer autrement que sur le mode du malentendu ou de l’incompréhension, réduit l’intrigue à une simple logique déterministe.

 

    Il est vrai que le prix Goncourt, du nom de deux auteurs naturalistes du 19e siècle dont les romans ne sont plus lus, cherche avant tout à couronner de jeunes auteurs prometteurs d’une littérature confortablement réaliste. Les expérimentations romanesques ou stylistiques ne sont nullement encouragées. S’il est facile de railler ce marronnier des prix littéraires, il n’est peut-être pas inutile d’en rappeler l’intérêt avant tout commercial. Il s’agit d’un moment privilégié pour doper les ventes de roman. 

 

    La recette est connue pour construire un best-seller. Et en la matière, les critiques littéraires, en voie de perdition, ont été depuis longtemps supplantés par le prix Goncourt des lycéens dont les choix souvent très académiques, participent de cette grande mascarade économique. On ne se plaindra pas que des livres se vendent, bien au contraire. Mais on peut s’étonner de voir portée aux nues une écriture plate, composée de phrases simples, sans aucune recherche stylistique ou lexicale. Le titre même du roman de Leïla Slimani, Une chanson douce, explicite assez bien combien sont étriquées les références littéraires d’un auteur, lorgnant du côté de la chanson populaire dans ce qu’elle a de plus monotone et ennuyeux. 

 

    La romancière a bien compris le rôle social qui était le sien, comme le montrent ses récentes prises de position, bien attendues, concernant l’homosexualité. Le roman qui vient d’être récompensé défend, non sans opportunisme, l’idée d’une lutte des classes toujours vivace entre des gens aisés qui délaisseraient leur progéniture pour ne s’occuper que de leur carrière et des gens délaissés et à jamais incompris qui n’auraient d’autre choix que de laisser libre cours à leur pulsion de meurtre. On peut être séduit par ce conformisme de la subversion qui flatte les bas instincts du lecteur. On peut regretter aussi le choix des jurés, avides eux aussi de reconnaissance sociale. 

 

                         Leïla Slimani, Chanson douce, Editions Gallimard. 

crédit photo : mise en scène de Tartuffe par Luc Bondy, théâtre de l'Europe.

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