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Blog littéraire.


Entre grâce et nihilisme

Publié par olivier rachet sur 19 Mai 2017, 21:40pm

     « Mon âme est si lourde que nulle pensée ne peut la porter, que nul essor ne peut l’élever dans l’éther. » C’est par ces mots que s’ouvrent et se ferment – que s’ouvrent en se fermant – les Diapsalmata que rédige Kierkegaard, en 1843. Du nom de ces intermèdes musicaux intercalés dans la lecture des psaumes. Une âme en peine, à l’image de la génération romantique atteinte d’un mal du siècle devenu fer de lance de toute jeunesse ayant substitué à l’ambition de conquérir le monde l’apitoiement de n’en avoir pas la force. Mathieu Térence, dans un essai joyeusement intitulé De l’avantage d’être en vie prend, déterminé, le contre-pied de ces aphorismes et autres pensées de malheur. L’auteur reconnaît avoir priviligié, lors de ses lectures adolescentes, ces chantres du nihilisme que sont Schopenhauer ou Cioran, ces pourfendeurs de la simple joie de vivre, de l’opulence richesse de celui qui sait se contenter non du peu mais du plein logé au cœur même du vide.

     Les formes courtes, fragmentaires ont toujours la force d’une démonstration sans équivoque. Non seulement elles font feu de tout bois mais logent leurs flèches acérées dans la noirceur complaisante d’une nature si peu humaine. Il y a du Nietzsche dans cette volonté de savoir et d’accroître en nous la puissance de vie, autre nom pulsionnel de la création ou de la santé maladive. Une lucidité dans la joie, le plus beau des courages dont Joubert disait qu’il était « celui d’être heureux ». Les prophètes de malheur sont légion, les contempteurs de la vie se réjouiront toujours des erreurs qui seront les vôtres. Récitez- vous alors ce mantra sollersien inépuisable : « Je me suis fait un principe de mes erreurs et de ce moment j’ai connu la félicité ».

Je me suis fait un principe de mes erreurs et de ce moment j’ai connu la félicité

     De quoi la vie est-elle alors le nom ? Mathieu Térence regarde en direction de son enfance et de son adolescence : du pays Basque à la forêt de Fontainebleau d’où prit naissance une école picturale où l’érotisme était conçu comme un agrément de l’esprit et une récréation du corps. Sans malice aucune, sans esprit de vengeance ou de ressentiment. Je suis un corps érotique sans cesse renaissant, une métamorphose en acte. L’auteur fait signe aussi en direction des cosmogonies d’Hésiode, de Lucrèce et d’Ovide chez lesquels la transformation est l’autre nom de la vie. C’est dans l’acceptation sereine et souveraine à la fois du caractère protéiforme de la vie – et plus généralement de la matière – que réside la clef musicale de la création. Faire de sa vie une œuvre d’art et non une contemplation narcissique et dépressive, marque de fabrique d’une contemporanéité qui a substitué au culte du sensible la croyance dans le progrès technologique et l’asservissement de tout esprit critique. On entend résonner la voix de La Fontaine au détour de ces aphorismes mélodiques délivrés comme un antidote par l’auteur, une voix revêtue d’un nouveau corps amoureux :

                 « J’aime le jeu, l’amour, les livres, la musique,
                    La ville et la campagne, enfin tout : il n’est rien
                    Qui ne me soit souverain bien,
                    Jusqu’au sombre plaisir d’un cœur mélancolique. »

Mathieu Térence, De l’avantage d’être en vie, éditions Gallimard, Collection « L’Infini ». 

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