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Blog littéraire.


Ainsi s'est tu le persan

Publié par olivier rachet sur 15 Août 2017, 09:41am

   Maryam est né en Iran, à la veille de la révolution islamique. Ses parents sont des militants d’extrême-gauche qui manifestent aux côtés des étudiants. Son oncle Saman sera emprisonné, huit années durant, torturé. En 1986, n’en pouvant plus du régime des ayatollahs, la famille émigre en France, à Paris. C’est à la fois le récit de cet exil et l’apprentissage d’une langue qui n’est pas la sienne que raconte Maryam Madjidi dans Marx et la poupée. Un récit où les souvenirs d’enfance côtoient des évènements plus récents. Les temporalités s’entremêlent, sous la forme d’un journal intime qui ne dit pas son nom, comme si l’intimité ne se révélait que dans le paradoxe de sa publication.

   L’apprentissage du français revient comme un leitmotiv dans un roman qui s’interroge sur les impasses d’une politique d’intégration dont le projet semble d’éradiquer tous les fils qui rattachent l’exilé à son pays d’origine. En variant en permanence de point de vue narratif – le regard de l’enfant est recréé artificiellement à travers l’emploi d’un je qui rappelle les récits d’enfance de Jeanne Bénameur ou de Louis Calaferte, immigrés algérien et italien ayant eux aussi été confrontés à cet effacement en soi de la langue natale ; le regard critique et distancié de l’adulte se traduit, de son côté, par l’emploi d’un elle qui dit, avec froideur, les blessures de l’exil – la narratrice exprime avec justesse la fêlure moins identitaire que linguistique que représente tout déracinement. À ces Français qui s’extasient devant la richesse que représenterait sa double appartenance culturelle, elle oppose une fin de non-recevoir catégorique : « Je suis en colère contre ces hypocrites qui s’extasient sur une blessure. Ils enfoncent le doigt dans ma blessure avec politesse, condescendance et sourire aimable. »

   Maryam retournera en Iran, se réconciliera au final avec sa langue natale, la seule qui vaille. Elle enseignera le français, entreprendra une thèse consacrée à la poésie d’Omar Khayyâm et la prose de Sadegh Hedayat. Elle rencontrera, à Téhéran, une jeunesse ivre de libertés. Elle ira vivre en Chine, en Turquie. Elle se réconciliera surtout avec une certaine jouissance de la langue, celle des poètes qui, à travers les siècles, semblent tenir tête aux tyrans d’aujourd’hui. 2012, dans un taxi, un chauffeur lui récitera ces vers du poète Hâfez, originaire de Chiraz, datant du 14e siècle et n’ayant, bien entendu, rien perdu de leur force transgressive :

« Bois, car si tu as l’œil, tu verras que tous les chefs religieux sont hypocrites. Hâfez, enivre-toi, sois intelligent et heureux, mais ne tombe pas dans le piège de l’hypocrisie comme ceux-là qui ont sali le Coran. »

Maryam Madjidi, Marx et la poupée, éditions Le Nouvel Attila.

Crédit Abbas Kiarostami, Snow white

Crédit Abbas Kiarostami, Snow white

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