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Blog littéraire.


L'existence du noir

Publié par olivier rachet sur 8 Septembre 2018, 14:39pm

   « Les physiciens nomment singularité la région de l’espace où s’effondre une étoile. Melville s’est-il ainsi effondré, brûlé, épuisé dans sa singularité ? Il aura opéré dans la littérature américaine un ‘trou noir’ », écrit en conclusion d’un court exercice d’admiration Claude Minière. Rendant hommage à un homme solitaire, un écrivain peu compris en son temps, l’auteur tente d’approcher la singularité d’une langue qui peut s’enorgueillir de rivaliser à la fois avec les Écritures et toute la littérature de son époque. En dehors des trois derniers livres de l’auteur de Moby Dick, chacun de ses romans obéit, selon Minière, à une logique implacable, celle du livre de bord. Non d’un simple traité de navigation, encore moins d’un récit d’aventures, mais de la relation d’une expérience intérieure qui est aussi bien celle de l’abandon que de l’épreuve ; c’est-à-dire du néant. « Soyez honnête, écrit Melville, et ne niez pas l’existence du noir ».

   C’est alors qu’affleurent ces personnages hors du commun, façonnés comme l’homme à l’image de la création : « Nous nous sentons contemporains de la Création », reconnaît d’ailleurs Melville. Qui n’a jamais pensé que les refus lancinants de Bartleby pouvaient aussi être l’œuvre du Diable, de celui qui toujours nie ? Qui ne voit pas que dans son ivresse vengeresse, l’hubris du capitaine Achab rejoint la révolte de Job ? Quant à mon préféré, le matelot humilié par son officier refoulant son désir homosexuel, Billy Budd, qui ne succombe pas d’émotion devant cette figure profane d’un Christ désespérément abandonné ? « Billy Budd, écrit justement Minière, conte l’histoire d’un homme qui bégaie face à ceux qui parlent en règlements disciplinaires. » Melville sera resté fidèle, en dépit de ses nombreux voyages, à son poste d’écriture et n’aura eu de cesse de lutter, corps et âme, contre « l’universel reportage » décrié par Mallarmé. « J’aime tous ceux qui ont plongé au plus profond et sont remontés les yeux injectés de sang. » Combien d’entre nous se résignent à rester à la surface des choses, n’affrontant aucune menace intérieure, collaborant lâchement avec les donneurs d’ordre autoritaires et les équipages de fortune ? Joyeux anniversaire monsieur Melville, vous auriez eu deux cents ans, cette année !

Claude Minière, Encore cent ans pour Melville, éditions Gallimard, Collection « L’Infini ».

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