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Blog littéraire.


Si j'avais su...

Publié par olivier rachet sur 18 Novembre 2019, 22:42pm

    Souvent les romans de Modiano, notamment depuis Dora Bruder, prennent la forme d’une enquête portant à la fois sur un personnage disparu et sur soi, par ricochets. En toile de fond de ce dernier roman Encre sympathique, une jeune fille partie sans laisser d’adresse, Noëlle Lefebvre, si tant est que le nom soit exact et conforme. Tout débute dans les années 60, de façon rétrospective, avec mentionnés à l’arrière-plan les « évènements » de Bizerte en Tunisie, qui rappellent le non-dit de la guerre qui se déroulait alors en Algérie et dont on taisait jusqu’au nom. Aucune coquetterie naturaliste ici tant on sait combien la période de l’Occupation et de son prolongement colonial constitue un des substrats les plus souvent oubliés des romans de Modiano. Un narrateur, dont on apprendra au détour d’une phrase qu’il a vécu en Haute-Savoie près d’Annecy comme la jeune fille qu’il recherchait alors qu’il travaillait pour l’agence de Hutte, égrène des noms, multiplie les indices qui sont autant de fausses pistes dessinant un labyrinthe qui pourrait être l’image la plus conforme qui soit de notre mémoire sensible : « Je n’ai jamais respecté l’ordre chronologique, écrit un narrateur moins indécis qu’il n’y paraît. Il n’a jamais existé pour moi. Le présent et le passé se mêlent l’un à l’autre dans une sorte de transparence, et chaque instant que j’ai vécu dans ma jeunesse m’apparaît, détaché de tout, dans un présent éternel. » L’encre qui donne son titre au roman est moins indélébile qu’incertaine, à l’image de l’oubli qui hante la plupart des souvenirs : « Encre qui, incolore quand on l’emploie, noircit à l’action d’une substance déterminée. » Çà et là, des lambeaux de phrase surnagent : « Si j’avais su... » écrit Noëlle dans un carnet intime retrouvé miraculeusement par le narrateur. « Je crois qu’elle est morte », lui répondra un des nombreux témoins rencontrés. Mais de quoi témoigner quand la mémoire fait autant défaut ? Depuis longtemps, Modiano brouille avec une virtuosité certaine les frontières du genre romanesque, assimilant la narration à une tentative toujours avortée et sans cesse différée de faire coïncider un temps définitivement perdu avec des souvenirs dont on se demande s’ils ne sont pas toujours le fruit de notre imagination. La rencontre romaine sur laquelle se clôt le roman, dans toute son indécision et improbabilité, réussit le prodige de dire à la fois la puissance du romanesque et l’irréductible solitude d’un écrivain, rare parmi nos contemporains à sécréter encore des fictions où l’énigme quasi policière prend les allures d’une illusion rétrospective que l’on s’évertue encore à appeler mémoire, quand tout finit par disparaître.

Patrick Modiano, Encre sympathique, éditions Gallimard

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