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Blog littéraire.


Ange et Bête

Publié par olivier rachet sur 30 Juillet 2021, 07:53am

   J’aime les romans qui déraillent de leur projet initial. Le dernier en date de Benoît Duteurtre, Ma vie extraordinaire, m’intéresse justement quand l’auteur arrive à s’extraire de son intention de raconter un pan de son histoire familiale, en l’occurrence l’attachement qui est le sien pour une région des Vosges où il allait enfant en vacances, en compagnie de sa sœur, chez son oncle Albert et sa tante Rosemonde. On peut arriver à le suivre quand il oppose à la première modernité artistique du XXe siècle et surtout aux avant- gardes des années 60 qui, selon lui, en auraient été une pâle copie, la nécessité d’une écriture limpide que d’aucuns qualifieraient de plate ou de blanche. Après tout, la littérature ne fonctionne pas forcément à coups de marteau, et les genres les plus convenus voire prosaïques ont aussi droit de cité. Mais derrière l’apparence naïve d’une autobiographie en bonne et due forme qu’il ne m’intéresse pas de résumer, se cache, de la part d’un ironiste averti, des écarts à la norme, des déraillements qui me réjouissent. Ainsi quand le narrateur revient sur sa découverte de New York, ville dans laquelle il avait hésité à se rendre, ne masquant pas les préjugés qui pouvaient être alors les siens, et fustigeant désormais ses détracteurs qui « ne comprenaient pas la splendeur de Manhattan, mélange de géométrie parfaite (le quadrillage des rues et des avenues) et de poussée anarchique mêlant toutes les tailles et tous les styles. Ils ne saisissaient pas l’étrangeté de ces clochers gothiques ou de ces façades Renaissance perchés au sommet d’une tour de cinquante étages ; ni la puissance de ce mélange d’architecture futuriste et d’épicerie de quartier, de musées somptueux et de marchants de sandwich [...] ». D’autres pages très belles concernent son attirance « pour les parties honteuses de la musique » : ce mélomane et critique musical averti appréciant tout autant les innovations d’un Debussy, d’un Fauré ou d’un Steve Reich, que la chansonnette et l’opérette, genres auxquels il redonna sans doute leurs lettres de noblesse.

   Autre réjouissance, l’attaque en règle de l’idéologie LGBT et consorts et le regard qu’il porte sur le mimétisme normalisant du « mariage pour tous », quête à la fois d’une reconnaissance sociale et victimisation désuète : « cette imitation de l’ordre hétérosexuel, écrit-il justement, qui autorise enfin les gays costumés à s’embrasser sur les perrons des mairies avant de jouer au papa et à la maman. C’est le triomphe du kitsch, l’apothéose des stéréotypes du couple et de la famille que l’homosexualité militante des années soixante-dix combattait avec raison [...] » ; l’homme ne se définissant pas par sa sexualité qui n’est pas « la matrice de notre être, mais un des aspects de son organisation. » Le roman me réjouit aussi quand il s’offre une virée dans les arcanes du roman d’anticipation, où l’on voit en 2030, c’est-à-dire demain, un personnage en quête de calme tenté d’obtenir un pass payant pour se rendre à Paris, Ville Lumière répondant alors aux « exigences d’écoresponsabilité » : « L’autorisation était validée après consultation d’un dossier personnel fait d’informations rassemblées sur internet. Elles permettaient d’exclure les militants extrémistes, suspects de terrorisme, auteurs de fake news, coupables d’insultes aux femmes, aux LGBT+ et aux croyances religieuses, ainsi que les personnes condamnées pour non-respect du tri sélectif. »

   Au final, derrière une narration familialiste et un côté désuet qui se laisse lire, se cache une réflexion d’une rare intelligence sur la négativité propre à tout être, mais aussi à tout mouvement. Dès les premières pages, l’auteur assume son ambivalence, sous les figures de l’ange et de la bête chères à Pascal : ange aspirant à une tranquillité qui est aussi l’autre visage du confort bourgeois, bête fustigeant la modernité incarnée ici par des motards qui ralentissent sa quête narcissique de plaisir. Mais Duteurtre pousse cette dialectique jusqu’à réfléchir, en antimoderne convaincu, à la négativité même de la notion de modernité à laquelle nous continuons bon an mal an de nous rattacher. Synonyme d’abord d’affranchissement et de libération, la notion aurait fini par se retourner comme un gant pour se transformer en un automatisme dogmatique fustigeant tout ce qui s’opposerait à sa force devenue destructrice. Approche toute nietzschéenne en un sens où l’on voit, par un effet de tension extrême, le plus haut degré d’un Bien se transformer en Mal absolu. « Cette logique, explicite l’auteur, m’était apparue au gré des réflexions sur la ‘musique contemporaine’. Celle des années cinquante, illustrée en France par Pierre Boulez, se réclamait en effet des premiers compositeurs modernes : Stravinski, Schönberg, Debussy, Bartók... Mais loin de poursuivre l’exploration libre et aventureuse de ces derniers, elle en avait tiré des formules toutes faites et des dogmes sur la modernité à venir. » Que celui qui veuille faire l’ange se transforme en bête est une pensée à méditer sans doute, en ces temps de détresse politique...

Benoît Duteurtre, Ma vie extraordinaire, éditions Gallimard

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