« Lire, c’est élire un phrasé, une allure, un ton, une désinvolture, une façon de trousser ses phrases, de contracter ou pas sa syntaxe, de dénuder d’un rien ses enjambements ou ses paragraphes, de soulever un coin du voile ou de la page, l’air de rien, comme ça, pour voir, pour respirer, exulter un brin, ou, simplement, pour l’excitation que procure la citation. » Qu’on ne s’y trompe pas, cette admirable définition de la lecture que donne Jules Vipaldo, le VIP des lettres et des atomes, ne rend nullement compte de la farce poétique que représente Le banquet de plafond.
On sait, depuis Laurence Sterne et Diderot, depuis ces premières machineries à vapeur textuelle que sont Vie et opinions de Tristram Shandy et Jacques le fataliste et son maître, non seulement que la littérature n’est pas tenue de se prendre au sérieux, mais qu’elle s’honore d’épouser l’emballement de la matière, la chute implacable des lettres et des atomes, le clinamen qu’est la syntaxe lorsqu’elle devient poésie. C’est à un véritable vortex de mots que nous convie cet auteur qui navigue entre art mineur et gammes majeures. Un banquet de bons mots ivres, comme autant de buveurs illuminés. On est toujours sur le fil du rasoir, à mi-chemin entre le jeu de mots graveleux et le déraillement de tous les sens. On pourrait croire que Vipaldo s’amuse à détricoter la syntaxe, à dynamiter le lexique, à bousculer la typographie, pour rire et seulement rire.
On pourrait se contenter de ne voir dans ce recueil que virtuosités verbales et jongleries loufoques. L’auteur connaît son bréviaire dadaïste et la mécriture de Denis Roche ne lui est pas inconnue. Seulement voilà, il y a quelque chose de profondément révolutionnaire dans cette façon d’attaquer, en douce, la langue. La révolution comme volonté et représentation a fait long feu. Pour qui sait faire flèche de toute plume, pour qui sait désormais dompter les souris immobiles à droite de nos écrans de contrôle, l’heure est à la destruction massive de tout ce qui s’encrasse dans le dogme et l’idéologie. S’il est encore un combat à mener, c’est bien celui de la littérature contre toute forme de communication molle, verbale ou non verbale. Pour en finir avec les valeurs culpabilisantes, les mots d’ordre vengeurs, les slogans publicitaires, les hashtags réactionnaires. Français, encore un effort pour savoir lire la vraie littérature !
Jules Vipaldo, Le banquet de plafond, éditions Tinbad.