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Blog littéraire.


Possessions

Publié par olivier rachet sur 28 Novembre 2020, 14:28pm

   Des images tout d’abord. Un Christ mort. Un peloton d’exécution. Le bagne. La rencontre avec le diable. Le Christ mort et ressuscité. Ce ne sont pas là images d’Épinal mais des tensions électriques, des électrocutions mentales. Ce sont ces visions dont Dostoïevski est porteur, qu’il porte en lui comme une croix. Autant d’images enracinées dans la chair qui sont la matrice du livre que Julia Kristeva consacre à l’auteur de L’Idiot et Crime et châtiment. Un livre en forme d’introduction à une œuvre composite ayant renouvelé de fond en comble – de souterrains en sous-sols – le genre romanesque au XIXème siècle. Tout débute pour l’auteure par la lecture fondatrice de l’œuvre de Bakhtine, théoricien russe de la littérature, dont la réflexion innerve toute l’entreprise psychanalytique, sémiologique, critique et littéraire qui est la sienne. Que découvre alors Bakhtine ? La dimension polyphonique et carnavalesque du roman qui renvoie à un moi clivé, scindé comme l’est entre autres le personnage de Raskolnikov dont Kristeva rappelle que le nom raskol, « schisme », « désigne par dérivation des mouvements schismatiques à tendance mystique dans l’Église orthodoxe russe ». Du narrateur de Crime et châtiment, elle ajoute qu’il est « le véritable cheval fougueux qui s’est échappé du sous-sol et de la “neige mouillée”, pour inventer pour la première fois un roman policier, psychologique et métaphysique, sans dénouement ».

   Scission qui s’incarne chez Dostoïevski dans la figure du double et de ses différents avatars : le Prince Mychkine et Rogojine de L’Idiot en étant les parangons. Le premier, écrit Kristeva, le plus pathétique des masques dostoïevskiens [...] grotesque, dément, épileptique, effrayé par sa raison qui lui échappe en “gestes contraires” ; le second « jeune commerçant inculte et sanguinaire, porté sur la violence, le sexe et l’argent, liasses de billets et spéculations boursières » et qui annonce «l’oligarque mafieux, globalisé à coups de milliards et d’assassinats au poison [...]». Doubles qui dans leur raison dérégulatrice ou leur folie régulante n’ont de cesse de perturber la narration, de l’enrayer, de la faire littéralement déraper. L’homme dostoïevskien, ajoute Kristeva, « compose avec le vide par le truchement des rencontres-surprises, invraisemblables seuils, solitudes glacées, fusions et ruptures ». Dérégulation d’un monde sans dieu où tout serait alors permis, sans tabou, comme le pressent l’un des frères Karamazov ; le sexe y compris dans toute la puissance névrotique qui est désormais la sienne.

   Sans doute est-il plus que jamais nécessaire de relire Dostoïevski, comme nous y invite Kristeva, pour comprendre qu’il n’aura fait que résister à l’emprise mortifère du nihilisme dont nous ne sommes toujours pas sortis. La folie du récit comme unique salut, peut-être...

Julia Kristeva, Dostoïevski, éditions Buchet Chastel, Collection « Les auteurs de ma vie »

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