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Blog littéraire.


Ce qui advient

Publié par olivier rachet sur 18 Mars 2024, 09:19am

Il a écrit sur la peinture, la poésie, la calligraphie et le taoïsme. François Cheng est donc aussi poète et son dernier recueil, Suite orphique, laisse advenir en des quatrains subtils et ouverts sur leur propre mystère, les traces d’une expérience sensible et cosmique à la fois. Il est question de vie et de mort, comme l’indique le premier chapitre du livre qui s’ouvre comme une incantation « Aux vivants et aux morts » : « N’oublions pas nos morts ni notre propre mort ; / C’est le devoir-mourir qui nous pousse vers l’élan ». Et cet élan est bien celui de la parole qui advient à elle-même, mais aussi celle de la touche picturale qui n’aurait d’autre souci que d’articuler le vide au plein. La séparation, le deuil sont inséparables, en accord avec la cosmologie chinoise, d’une renaissance perpétuelle. Le poète se nourrit de cette polarité qui est tout sauf un antagonisme. On pourrait paraphraser Parménide et dire qu’avec François Cheng la vie se vit et que la mort se meurt ; mais il serait plus juste de dire que la vie se meurt à chaque bref instant que commence l’être et que la mort se vit d’un même geste aérien et léger. Tout devient alors transformation silencieuse et épanchement du vide dans le plein, et vice versa : « La mort ne nous sépare point de nos morts, elle nous renvoie / À leur transformation. Entrons en échange avec eux / En vue du change. Toute aspiration montante participe / De l’indivisible Souffle qui sans relâche meut la Voie ». Parfois une notation lyrique apparaît, vient déchirer le voile des illusions que nous continuons d’avoir sur nous-mêmes, mais il s’agit moins d’un chant que d’un accord pudique, ténu. Il n’est pas de bon ton ni de s’enthousiasmer narcissiquement ni de s’apitoyer victimairement : « Je suis, parce que Tu es, / Tu es, et par Toi, Je suis. / Moi là, Tu es tenu d’être. / Hors l’amour, quelle autre issue ? »

Si le recueil est placé sous le signe d’Orphée, le poète n’en descend pas moins aux Enfers pour retrouver sa bien-aimée : sa traversée du temps sensible est moins épique et se contente d’entremêler les moments de doute et les instants de joie. La désolation n’est pas synonyme d’extinction du désir mais d’un éternel recommencement : « Rien ne peut plus faire / que tu n’aies pas vécu ; / Rien ne peut faire taire / ton cœur mis à nu » ou plus allusif encore : « Être réduit à rien / est le début de tout. / Que les mots survivants / t’arrachent de ton gouffre ! » Contrairement à Gérard de Nerval traversant, deux fois vainqueur, l’Achéron, le poète ne rejoint ici que le souffle cosmique, le cœur nucléaire de la vie qui est à la fois rien et tout : une énergie motrice. « Par-dessus terreur et douleur, tu as tout / Consumé et renouvelé. Élevant / Les créés par ta clarté créante, tu prends part / À la noble cohorte au destin transfiguré ». Au final, la beauté de ces quatrains, en vers libres ou en alexandrins, est de laisser advenir l’advenance ; laissant éclore réminiscences et épiphanies, dans une circularité du propos propre à l’art calligraphique chinois et à l’éternel retour de la parole devenue don. En ce sens, François Cheng appartient bien, à l’image d’Apollinaire, à ce trésor national de la langue française qu’on gagnerait à méditer plus souvent : « En advenant, tu nais ; / En devenant, tu es. / Sois toujours l’advenance, / En tout lieu, en tout temps. »

 

François Cheng, Suite orphique, éditions Gallimard

Zao Wou-ki, 10.12.90, huile sur toile

Zao Wou-ki, 10.12.90, huile sur toile

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