Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

olrach.overblog.com

olrach.overblog.com

Blog littéraire.


L'Ange est la Bête

Publié par olivier rachet sur 7 Janvier 2024, 15:38pm

« L’angélologie est une sociologie du pouvoir ». C’est en s’interrogeant sur la fonction des anges dans les mythologies notamment bibliques que le philosophe Emanuele Coccia en vient à définir dans un essai lumineux, Hiérarchie, La société des anges, la nature même du pouvoir. Contrairement à une idée reçue, les anges se définissent moins par leur double nature humaine et divine, à l’image du Christ qui en serait peut-être le simple avatar, mais en fonction de leur praxis. Ce disciple de Giorgio Agamben montre que les créatures angéliques sont avant tout des messagers, des soldats fidèles de la divinité. « Les anges socialisent la divinité : ils sont la société dont l’enjeu est la déification, c’est-à-dire la distinction de l’un par rapport à l’autre. La divinité n’est pas une question d’ontologie mais d’ordre (taxis). Et le pouvoir n’a plus rien à voir avec l’être (création, génération), mais devient seulement la capacité à se distinguer, à s’élever au-dessus des autres. » Toujours à propos des anges, mais on croirait qu’il s’agit d’évoquer ici toute la servilité humaine : « L’essence de leur service est le culte, qui est une forme de flatterie prescrite par la loi dans le royaume dont ils sont citoyens. [...] Avant même d’être des aides bienveillants, les anges sont des mercenaires à la solde de leur créateur. »

C’est tout le processus cosmogonique de la création que met ici en procès l’auteur, en assimilant la genèse à un pur « évènement politique », c’est-à-dire à « l’expression d’une souveraineté qui parvient non seulement à définir comment doit être ou vivre ce qui lui est soumis, mais est même capable d’en déterminer la genèse. [...] Dieu a créé l’homme pour qu’il commande sur les autres créatures de la terre. Si l’ange est l’intermédiaire entre l’humain et le divin, ce qui est en jeu dans l’opposition entre l’humain et le divin, c’est la définition d’une arche, d’un pouvoir. » Un pouvoir ou en l’occurrence ici une hiérarchie qui donne son titre à l’ouvrage. Que cette hiérarchie se transmue dans les sociétés capitalistes en oligarchie - raccourci que l’auteur suggère plus qu’il ne l’analyse -, ne doit pas nous étonner tant nous avons appris, dans notre monde sécularisé, à subordonner la forme originelle de notre liberté à des impératifs sociaux et économiques qui entravent sans doute notre félicité. Que le royaume céleste de la marchandise et aujourd’hui des intelligences analytiques artificielles ou autres algorithmes ne soit pas de ce monde ; nous le pressentons, mais n’en tirons aucune conséquence. Restons maudits !

« La hiérarchie, ajoute Coccia, est le pouvoir exercé par ceux qui peuvent perdre leur divinité, un pouvoir sacré par le rang et non par la nature. [...] L’ange est terrible précisément parce qu’il montre qu’une divinité n’a d’autre forme d’existence visible que celle du pouvoir qu’elle exerce, et que le pouvoir n’a d’autre but que de diviniser et de rendre supérieur celui qui l’exerce. » La figure de l’ange est par essence celle de la soumission, excluant toute volonté propre vers la puissance de soi : « L’ange n’est que la vie à laquelle il a été interdit de désirer, de vivre, d’agir au-delà de la parole, et qui s’adapte à cet interdit. » Cet être-pour-la-mort, et l’homme est sans doute à son image, se définit par sa capacité à toujours tomber. Il est déchu, et ne cesse de choir : « La chute des anges est le premier grand évènement de l’histoire du cosmos, et l’histoire elle-même n’est que l’effet de leur désobéissance », ajoute le philosophe. Pour le dire avec des mots plus polémiques encore, « le pouvoir est toujours disproportionné par rapport à la nature de celui qui l’exerce, parce qu’il ne peut jamais être fondé sur elle. » Cet essai iconoclaste révèle au final que derrière une sécularisation factice de nos sociétés, règne toujours une structure anthropologique de nos imaginaires incapables d’en finir avec l’idée même de hiérarchie. Il n’y a toujours pas de futur.

 

Emanuele Coccia, Hiérarchie, La société des anges, éditions Payot & Rivages, Collection « Bibliothèque »

L'Ange est la Bête
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article

Archives

Nous sommes sociaux !

Articles récents