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Blog littéraire.


Être piano

Publié par olivier rachet sur 16 Août 2021, 09:22am

   « Ou bien nous entrons totalement dans la musique, ou alors, pas du tout », fait dire à Glenn Gould le narrateur du magnifique roman/essai de Thomas Bernhard Le Naufragé. Un engagement total, corps et âme : telle est la rançon non seulement du génie, mais d’une expérience artistique réellement vécue. Trop de poseurs, d’opportunistes qui savent aller où le vent souffle, en lorgnant en direction des goûts du public alors qu’il s’agit avant toute chose de musique et d’être atemporel. Les interprétations de Gould des Variations Goldberg ou du Clavecin bien tempéré traverseront les siècles, car elles sont de toute éternité. Dans ce qu’il définit comme des « essais », au sens où Montaigne expérimentait une forme mouvante la plus apte à laisser s’exercer son jugement et un esprit critique de bon aloi, le narrateur relate ici les conditions dans lesquelles trois hommes – Glenn Gould donc, lui-même et leur ami commun Wertheimer – se sont rencontrés au Mozarteum de Salzbourg pour suivre les cours d’un professeur nommé Horowitz ; là-même où Bernhard suivit des cours dont il railla la bêtise.

   Fiction qui cherche à élucider non le mystère de la création, mais celui du génie que l’on peut tenter de définir comme l’héroïsme surnaturel ou supranaturel de celui qui fait corps et âme avec son art. « Être piano », fait dire le narrateur à Gould dont il imagine des propos aussi tonitruants et définitivement élitistes que les suivants, car sans élitisme, l’art n’est bien souvent qu’une machine racoleuse et démagogique comme l’on peut s’en rendre compte trop souvent : « « Notre existence consiste à être continuellement contre la nature et à procéder contre la nature, disait Glenn, à procéder contre la nature jusqu’au moment où nous baissons les bras parce que la nature est plus forte que nous, nous qui, par outrecuidance, avons fait de nous-mêmes un produit de l’art. Nous ne sommes pas des hommes, nous sommes des produits de l’art, l’interprète au piano est un produit de l’art, une chose répugnante, dit-il pour conclure. »

   Mais parallèlement, et comme le titre l’indique, c’est le destin d’un autre homme que dissèque en clinicien implacable le narrateur : celui de Wertheimer qui ne put jamais rivaliser avec la prouesse et la virtuosité de Gould et qui se donnera la mort, quelques temps après la disparition de celui-ci. Naufrage d’une existence placée sous le signe de l’échec et du renoncement dont on comprend qu’il est aussi celui d’une société autrichienne et d’une civilisation européenne en proie à des démons égalitaristes des plus nocifs. N’en déplaise aux minorités activistes du moment, mais l’art – oserait-on écrire « le grand art » – est par nature et contre nature aristocratique. Une certaine idée de l’élévation et de la plus haute recherche quand beaucoup se contentent de gribouillages et de discours vindicatifs. Happy few, I guess.

 

Thomas Bernhard, Le Naufragé, éditions Gallimard, Collection « folio »

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