Après un exil en région parisienne et à Londres, Gaël Faye vit actuellement au Rwanda, après avoir fui son pays natal, le Burundi, anéanti par une guerre civile dont le déclenchement paraît toujours rétrospectivement absurde, arbitraire. A des élections libres et démocratiques succéda, en 1993, un coup d’Etat militaire qui plongera ce petit pays de la région des Grands Lacs dans le chaos. Ce premier roman intitulé humblement Petit pays, se partage entre le récit quasi autobiographique des souvenirs d’une enfance privilégiée et la chronique de massacres annoncés. Une mère originaire du Rwanda voisin, un père français dont l’aisance financière permet à la famille de bénéficier d’un jardinier, d’un chauffeur et d’un cuisinier. Nous sommes en 1993, un an avant que ne débute le génocide rwandais qui verra périr la famille proche du narrateur. Ses quatre cousins germains, un oncle Pacifique, une tante Eusébie.
De son enfance, le narrateur se souvient de l’éloignement de ses parents qui, d’un commun accord, semblent avoir décidé de vivre à distance. Il se souvient des jours d’école, des moments passés avec ses amis avec lesquels se forma un groupe qui, au fur et à mesure de la montée aux extrêmes des hostilités, se transformera en un gang vengeur et assassin. Nombreuses sont les notations sensibles qui parcourent ce roman qui s’apparente à une initiation tragique à la violence guerrière. De la mise à mort d’un crocodile à son dépeçage en passant par le vol de mangues dans le jardin d’une voisine grecque, Gaël Faye a l’art de transformer chaque anecdote en un souvenir tendre et amer à la fois. « La guerre, écrit l’auteur, sans qu’on lui demande, se charge toujours de nous trouver un ennemi. » Et de fait, le génocide qui ravagea le Rwanda, pays voisin du Burundi, d’avril à juillet 1994, ne fut pas seulement la conséquence de l’attentat perpétré contre les présidents burundais et rwandais, il résulta surtout d’une planification macabre, entretenue à la fois par une radio locale dont le spectacle glaçant de Milo Rau Hate radio nous avait déjà rendu compte et l’installation d’une haine ethnique sans fondement apparent.
Le dialogue entre le père et le fils sur lequel s’ouvre le prologue du roman exprime bien l’absurdité de ce déchaînement de violence :
« - La guerre entre les Tutsi et les Hutu, c’est parce qu’ils n’ont pas le même territoire.
- Non, ça n’est pas ça, ils ont le même pays.
- Alors...ils n’ont pas la même langue.
- Si, ils parlent la même langue.
- Alors,ils n’ont pas le même dieu.
- Si, ils ont le même dieu.
- Alors...pourquoi se font-ils la guerre?
- Parce qu’ils n’ont pas le même nez. »
En filigrane, se lit aussi la responsabilité des anciens pays colonisateurs, qui, à défaut d’avoir su empêcher les massacres, ne surent ni les prévenir, ni secourir les victimes qui mouraient sous leurs yeux. Le coup d’Etat militaire au Burundi, qui en 1993, mit fin à une expérience démocratique fugace, sera l’élément déclencheur d’une flambée de violences dont le narrateur témoigne, avec une forme d’incrédulité toujours vivace. De ce récit tragique, se détachent malgré tout des scènes poétiques de grande beauté : à l’image de ces lettres échangées par le narrateur adolescent avec une jeune française prénommée Laure dont il tombera amoureux sans l’avoir vue, de ce voyage au Zaïre voisin en compagnie de ses parents ou de cette description étonnante de la capitale Bujumbura sous la neige comme pour rendre plus sensible la prophétie du père selon laquelle les guerres cesseront quand il neigera, dans ce pays si petit et si brûlant d’un passé à jamais disparu. Grand est le témoignage que nous livre ce jeune auteur de 34 ans, passé du monde de la finance internationale à celui du rap pour confier le chaos de son existence aux secrets de l’écriture romanesque.
Gaël Faye, Petit pays, Editions Grasset.