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Blog littéraire.


Le monolinguisme de l'autre

Publié par olivier rachet sur 12 Septembre 2016, 11:14am

      « J’écris en français pour dire aux Français que je ne suis pas français » clamait, frondeur, l’écrivain algérien Kateb Yacine. Dans l’essai de Kaoutar Harchi que publient les éditions Pauvert, Je n’ai qu’une langue, ce n’est pas la mienne, dont le titre est emprunté au philosophe Jacques Derrida, la sociologue prolonge la réflexion de l’auteur du Polygone étoilé et de Nedjma pour analyser ce qu’implique le choix plus ou moins imposé d’écrire une langue qui est héritée de l’histoire politique de la colonisation et qui se pense, depuis l’époque romantique ayant achevé le sacre de l’écrivain, comme le vecteur d’une littérature universelle.

       Cinq écrivains algériens sont convoqués pour tenter de penser comment se constitue ce que Pascale Casanova appelait « la république mondiale des lettres » dont l’un des centres de diffusion, d’élection et de fabrication de l’universel littéraire serait situé, pour tout écrivain francophone, à Paris. Commençons par rappeler que contrairement à ses voisins tunisiens et marocains, l’Algérie a été française pendant cent trente deux ans. L’abandon du français au profit d’une arabisation de l’enseignement, au lendemain de l’indépendance, scella en partie le destin des écrivains auxquels l’auteur s’intéresse. Chacun à leur façon, Kateb Yacine, Assia Djebar, Rachid Boudjedra, Kamel Daoud et Boualem Sansal, eurent recours à la langue de l’oppresseur qu’ils transformèrent peu ou prou en « butin de guerre » et qu’ils cherchèrent à transvaluer.

       Nés respectivement en 1929 et 1936, Kateb Yacine et Assia Djebar apparaissent comme les pionniers d’une littérature algérienne en langue française qui n’a de cesse de se confronter à sa matrice originelle. Comme l’écrira le romancier et poète marocain, Abdelkébir Khatibi, qui fut leur contemporain, la mémoire de ces enfants marqués par l’histoire coloniale, restera « tatouée » de façon indélébile. La question que pose l’essai de Kaoutar Harchi concerne la persistance d’une forme symbolique de domination qui continue de peser sur des oeuvres littéraires qui peinent à entrer pleinement dans le panthéon littéraire français.

       C’est ainsi qu’à l’occasion de l’année culturelle consacrée à l’Algérie, en 2003, une pièce de théâtre en hommage à Kateb Yacine fut montée à la Comédie Française mais sans que l’auteur n’entrât pour autant au Répertoire de cette vénérable institution dont l’ethnocentrisme triomphant trouve sans doute ses racines dans sa création par Louis XIV. Le caractère hégémonique de cet absolutisme politique dont les ramifications vont jusqu’à la sphère culturelle et artistique restant d’ailleurs toujours prégnant. Pour que l'auteur puisse entrer au Répertoire, il eût fallu qu’une pièce du dramaturge soit jouée. Or l’on choisit de composer un spectacle autobiographique à partir des principales prises de position de Kateb Yacine dont la qualité littéraire des pièces écrites en français fut alors minorée au profit d’une tentative de le réduire à l’affirmation d’une idéologie post-coloniale.

       Il en va de même pour Assia Djebar, qui rejoignit, en 2005, les rangs de l’Académie française mais à qui fut reproché un discours d’investiture trop peu enclin à célébrer la figure de Georges Vedel qu’elle remplaçait. Qui ne se souvient aussi de ce mot profondément insultant à l’égard de Marie Ndiaye, ayant reçu le prix Goncourt en 2009, de la part d’un homme politique réagissant à son exil berlinois : le lauréat « se doit de respecter la cohésion nationale et l’image de notre pays », écrivait celui qui aujourd’hui demanderait à des français d’origine maghrébine de se faire plus discret!

       Les cas de Kamel Daoud et de Boualem Sansal diffèrent sensiblement de leurs illustres prédécesseurs. Le choix du français comme langue de création s’inscrit dans un contexte territorial et historique marqué par les années noires du terrorisme islamiste. L’engagement de chroniqueur du premier au Quotidien d’Oran et du second ayant publié son premier roman, Le serment des barbares, à l’âge de cinquante ans, place leurs oeuvres respectives sous la coupe d’un regard critique davantage porté sur le peuple algérien libéré du joug colonial que sur les oppresseurs de jadis. Or, à partir de l’exemple de leurs derniers romans ayant tous deux concouru pour le prix Goncourt, en l’occurrence Meursault contre-enquête et 2084 - La fin du monde, Kaoutar Harchi montre la persistance d’une domination symbolique d’une « république des lettres » françaises peinant à inclure dans son sein des auteurs étrangers d’expression française et les cantonnant, le plus souvent, à une identité nationale dont leurs oeuvres pourtant s’émancipent.

      Ne serait-il pas temps de substituer au monolinguisme d’une « république des lettres » ethnocentrée le devenir-monde d’une littérature partout mineure, dont le français dépasse depuis des décennies le cadre hexagonal et d’attribuer enfin le prix Nobel de littérature à un écrivain algérien, marocain, tunisien d’expression française? A moins que les anglais ne nous devancent et assistent à la consécration du plus indien des romanciers britanniques, Salman Rushdie dont on saluera l’oeuvre féérique et baroque à la fois...

     

          Kaoutar Harchi, Je n’ai qu’une langue, ce n’est pas la mienne, Editions Pauvert.

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