« Il n’est de chant possible qu’un bâillon sur la bouche » écrit pudiquement Jean-Michel Maulpoix dans son dernier ouvrage poétique. Ses parents se sont éteints, de fatigue et d’usure. Le temps emporte avec lui les souvenirs de l’enfance, les derniers instants passés à lutter contre le vide qui n’a jamais cessé de nous aspirer. Celui qui a consacré des ouvrages critiques de référence à la notion de lyrisme n’est pas dupe du vertige et de la tentation toujours prêts à prendre possession des cœurs alanguis. « Les frivolités de l’élégie, ses faux désirs de mourir » sont maintenus à distance quand bien même la disparition de nos proches s’immisce dans l’intimité de la chair. « Je sens parfois bouger ses os, écrit le poète de son père, dans la terre de mon propre corps. »
La tristesse est pérenne, elle « durera toujours ». Il est possible de l’approcher, de l’apprivoiser même comme un oiseau de proie dont la majesté vous tient en respect. Ni exorcisme intérieur, ni catharsis. L’épreuve comme unique vérité. La musique parfois console, celle de Mozart ou de Schubert. « Pour que les larmes coulent autrement. Dans l’oreille plutôt que dans l’œil. » Musicalité qui est aussi celle de la prose, d’une prosodie dont la mesure parfaite est toujours à réinventer. Ce recueil de poèmes en prose est comme souvent un nouvel art poétique rendant hommage, en passant, à la rapidité vertigineuse d’un genre qui est toujours « affaire de régime et de vitesse de langue ». Rêver de Rimbaud pris en flagrant délit d’excès de vitesse sur l’autoroute dit assez bien quelle peut être la puissance d’irradiation de la poésie.
Hommage est rendu aux peintres, à ceux qui n’ont besoin que d’une ligne « pour tracer un horizon », à Miró dont Maulpoix écrit simplement qu’il « pense avec des couleurs ». Quelque chose de noir, de bleu, de gris ou de rouge accompagne chaque notation sensible : du train de banlieue à une maison de retraite, d’un lit défait à la couleur d’un oiseau ou d’un papillon battant des ailes lors d’un service funèbre. Le peintre espagnol a peint cet oiseau rouge sorti de l’hiver comme l’alouette éclot avec le printemps. Dans l’ancienne Egypte, le Livre des morts propose une formule permettant au défunt de se transformer en hirondelle afin de pouvoir visiter de jour le monde des vivants. Dans la Bible, une légende raconte qu’une hirondelle a retiré de la couronne qui ensanglantait le front du Christ les différentes épines. Hirondelle éblouie par l’éclat de la prunelle rouge, comme l’indique en légende Miró, poème extrait de la lumière noire du souvenir. La pensée, les couleurs et les sons vibrent encore d’avoir défié le silence.
Jean-Michel Maulpoix, L’Hirondelle rouge, éditions Mercure de France.