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Blog littéraire.


L'éternité et le temps

Publié par olivier rachet sur 22 Mars 2020, 19:18pm

   En ces temps de difficile introspection, où l’on s’affiche plus volontiers sur les réseaux sociaux que l’on ne partage ses doutes et ses questionnements, où au principe d’incertitude se substitue la certitude d’être bien confiné au chaud, peut-être serait-il utile de suivre le parcours spirituel d’un artiste, forcément chaotique. En l’occurrence ici, Friedrich Hölderlin auquel Benoît Chantre consacre dans Le clocher de Tübingen un essai passionnant. Si l’on ne suivra pas forcément l’essayiste dans le portrait qu’il dresse d’un poète simulant la folie pour masquer une quête mystique qui aurait été achevée, on n’en appréciera pas moins de suivre les étapes d’un itinéraire intellectuel et sensible dont les contradictions sont intelligemment éclairées : « Monothéisme de la raison et du cœur, polythéisme de l’imagination et de l’art, voilà ce qu’il nous faut », clame ainsi l’essayiste, rappelant combien la fidélité à soi et aux autres, aussi bien à ses amis qu’à ses dieux de prédilection, relève souvent de la gageure. En compagnie de ses amis Hegel et Schelling, Hölderlin rêva d’abord de l’instauration d’une République souabe qui aurait réparé à sa façon les conséquences du traité de Verdun de l’an 843 qui sépara en trois l’empire carolingien. Fin d’un empire d’où naîtront le royaume de France d’un côté et le Saint Empire Roman Germanique de l’autre. Traité consécutif au Serment de Strasbourg dont Chantre montre qu’il hante autant Péguy qu’Hölderlin : « Il est la blessure qui saigne sur un continent qui, comme Tête d’Or, n’en finit pas de mourir. »

    Qu’à cette utopie politique ait succédé une quête spirituelle et mystique dont la césure se situe pour l’auteur dans les années 1800, au retour d’un voyage effectué en France et consécutivement à la séparation d’avec Susette Gontard qui inspira notamment le personnage de Diotima dans Hypérion ou l’ermite de Grèce, ne fait aucun doute. C’est alors toute une philosophie idéaliste qu’Hölderlin abandonne ; les volumes de Platon, écrit Chantre, « qui sont bien peu de choses, face à une idée devenue tangible » ; en l’occurrence ici celle de l’amour. Idéalisme d’un Fichte tout aussi bien dont le poète rejette alors l’idée d’un « Moi » qui serait absolu : « Pour ce Moi absolu il n’y a donc pas d’objet, car autrement toute réalité ne serait pas contenue en lui ; mais une conscience sans objet n’est guère concevable... Bien avant Husserl et la phénoménologie, ajoute l’auteur, Hölderlin semble affirmer ici, contre la démesure fichtéenne, que toute conscience est conscience de quelque chose. L’illimité s’articule à la limite, l’éternité s’inscrit dans le temps. » C’est justement cette tension entre les contingences d’un monde terrestre et l’inatteignable transcendance d’un monde divin, définitivement en retrait, qui alimentera la poésie d’Hölderlin. Comment réconcilier les dieux grecs, Apollon et Dionysos en tête, et le Christ ? D’autres s’y casseront les dents, et il n’est pas sûr qu’au final Hölderlin ait choisi la voie seule du salut chrétien, en jouant tel Hamlet une folie bien déraisonnable... « Aussi va-t-il tenter d’inverser l’entreprise idéaliste, commente de façon plus convaincante Chantre, de la retourner contre elle-même. Quête aussi folle, peut-être. Elle n’en est pas moins celle de la poésie, entendue comme parole retrouvée de la nature, preuve qu’il ne faut pas chercher hors du monde ce qui se trouve en son cœur. » Comment finir sans écouter Hölderlin lui-même ?

     Un homme, quand la vie n’est que fatigue, un homme / Peut-il regarder en haut, et dire : tel / Aussi je voudrais être ? Oui. Tant que dans son cœur / Dure la bienveillance, toujours pure, / L’homme peut avec le divin se mesurer / Non sans bonheur. Dieu est-il inconnu ?/ Est-il, comme le ciel, évident ? Je le croirais / Plutôt. Telle est la mesure de l’homme. / Riche en mérites, mais poétiquement toujours, / Sur terre habite l’homme. Mais l’ombre / De la nuit avec les étoiles n’est pas plus pure, / Si j’ose le dire que / L’homme, qu’il faut appeler une image de Dieu.

Le poème s’intitule « En bleu adorable », traduit par André du Bouchet, cité par Sollers dans un livre que je vous invite à découvrir en ces temps de questionnement moral : Illuminations, À travers les textes sacrés. J’oubliais : seule la lecture pourra sans doute nous sauver, aussi bien de nos ennuis que de nos certitudes...

Benoit Chantre, Le clocher de Tübingen, éditions Grasset

Crédit photo Gerhard Richter, "Rosen", huile sur toile, 1994

Crédit photo Gerhard Richter, "Rosen", huile sur toile, 1994

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