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Blog littéraire.


La taille de mon âme

Publié par olivier rachet sur 2 Juin 2020, 18:14pm

    Hicham Lasri n’est pas de ces artistes paresseux qui se projettent dans le monde d’après, tant cette projection constitue un puissant déni d’observation du monde que l’on a sous les yeux. Monde dont le cinéaste, dessinateur et romancier n’a de cesse de montrer qu’il se fragmente avec la vitesse de déflagration d’une bombe à neutrons. Il est, pieds et poings liés, dans le monde d’aujourd’hui pulvérisé par les réseaux sociaux et cherchant refuge dans le confort des certitudes acquises. Un peu de dérision, un soupçon d’incertitude, une louchée de science-fiction pour affronter le temps présent et la mainmise de la police sur nos existences.

    Des polices, faudrait-il préciser tant il semblerait que le temps du confinement soit synonyme avant tout de privation de liberté et de répression en soi – et sans la force justement – de tous les désirs. Réprimez, réprimez ! Il en restera toujours quelque chose... « Tu sais bien que le rouleau compresseur de la répression, se dit le protagoniste de son dernier roman L’improbable fable de Lady Bobblehead, est géré comme une symphonie sans fausse note. C’est très simple : personne ne doit faire face. Personne. Les agents de la répression sont des orphelins sans état d’âme qu’on a dressés comme des robots à tabasser un chien, un nourrisson, un vieillard, un estropié, une licorne ou même un arc-en-ciel s’il a le malheur de laisser traîner ses tresses colorées sur un passage piéton. »

    Ce préambule étant posé – mais il est bon de rappeler à destination des générations futures que ce roman aura été écrit à une époque de grand obscurantisme –, de quoi est-il question dans ce dernier roman ? D’une quête impossible, d’un personnage en quête d’Auteur et occasionnellement de son âme égarée, à moins qu’elle ne fût cédée ou dérobée par on ne sait qui. Un MacGuffin que cette quête, s’amuse à souligner le narrateur à plusieurs reprises, comme si la possibilité même de pulvériser le récit constituait l’ultime des jouissances ! Inutile de remonter jusqu’à la Poétique d’Aristote pour rappeler que le roman s’enorgueillit depuis toujours d’être la narration d’une quête. Qu’il s’agisse de héros glorieux ou d’anti-héros nauséeux, le récit romanesque se double toujours d’une quête de la connaissance dont celle du Graal serait le parangon. Quête luciférienne par définition, nous rappelle malicieusement le narrateur : « La quête de l’éternité passe par le Saint Graal et le Saint Graal passe par Lucifer. Lucifer est un rebelle, un contrat, un moudjahidine, un freedom fighter face à ce tyran appelé Dieu. » 

    Dans le roman graphique Vaudou publié en 2016, le personnage principal était déjà en quête de paroles à insérer dans des phylactères restant désespérément vides. Qu’en est-il de la possibilité même du récit à l’heure des applications téléchargeables ? Le lecteur est-il lui-même digne de suivre les méandres d’une quête qui ne signifie plus rien pour lui ? Lasri, dans des formules définitives, a l’art de souligner l’étroitesse d’esprit d’une époque plus illettrée qu’elle ne le pense : « C’est une époque où rien n’appelle la grandeur, rien n’évoque l’éternité, rien n’est autre chose qu’un produit manufacturé à l’obsolescence programmée, une manière de ne pas affronter l’éternité, de ne pas jeter un défi aux siècles. Vivre mal, vivre peu et c’est tout. Le mystère de l’âme est la dernière chose que les sciences du clonage, du recyclage et de l’obsolescence n’ont pas encore réussi à déverrouiller pour l’industrialiser. » Le monde peut bien attendre : « la catastrophe est en téléchargement ».

    Quête absurde et dérisoire ne menant nulle part, mais faisant débouler le personnage dans un hilarant Res-Tænia où des serveuses aguicheuses proposent en guise de plats spaghettis de bien étranges parasites, dans un poste de police où l’on hésite à emprunter la file des âmes dérobées ou celle des sodomites repentis, ou encore dans un inquiétant sas de compression peuplé de clones étranges qui sont autant de « copies dévitalisées d’un être vivant reformulées avec des cellules mortes ». N’en doutons pas, un sale virus, un bug monstrueux est passé par là...

   Un univers qu’on pourrait qualifier de post- apocalyptique si l’expression n’avait pas été usée jusqu’à la corde, où les parasites en tout genre côtoient pixels, glitchs et autres bitcoins. Où l’artificialité règne en maître jusqu’à l’apparition fantastiquement improbable justement de cette femme-algue donnant son titre au roman : Lady Bobblehead, sirène sidérale ou cyborg évanescent dont la tête chavire à tout moment. De l’action ? du sexe ? de l’amour enfin à se mettre sous la dent ? « Son visage s’ouvre comme une fleur, écrit le narrateur, ça s’appelle un sourire. Elle a de grands yeux de personnage de manga. » Irruption de la vie ou simple game over : à vous de le découvrir. En lisant et en aimant peut-être même ça !

Hicham Lasri, L’improbable fable de Lady Bobblehead, éditions Rimal, à sortir fin juin 2020

La taille de mon âme
Crédit @Hicham Lasri

Crédit @Hicham Lasri

Crédit @Hicham Lasri

Crédit @Hicham Lasri

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