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Blog littéraire.


Le silence aussi est un mode authentique du langage.

Publié le 16 Octobre 2012, 13:12pm

La peine de mort et l'incarnation, explique Claude Lanzmann à la fin de ses Mémoires, auront été les questions les plus lancinantes auxquelles sa pensée aura été confrontée tout au long de son existence. Le fil conducteur de ce récit bouleversant à plus d'un titre est le corps auquel on s'attache, que l'on cherche à soumettre à la question ou à la torture (les interrogatoires d'anciens criminels nazis côtoient ainsi les souvenirs d'un engagement total contre la guerre d'Algérie), corps qui s'élève souvent de lui-même à travers la beauté irradiante d'un nouveau corps amoureux (la relation passionnée qui lia l'auteur des années durant à Simone de Beauvoir n'a d'égal que le souvenir de cette jeune infirmière rencontrée en Corée, fougueusement étreinte et dont une carte postale figure au cœur même de la dimension nostalgique d'un ouvrage aux multiples entrées), corps enfin qui arrive à s'échapper des périls les plus divers.

Le récit débute pendant les années 40 sur l'image terrorisante et terroriste à la fois de la guillotine. Menace du couperet de l'Histoire ayant pesé sur une adolescence vécue souvent dans la clandestinité mais surtout dans l'héroïsme moral et inconscient de la Résistance, menée tambour battant au sein d'un lycée auvergnat. Les contingences historiques engagent souvent le destin d'un homme et l'amitié indéfectible qui liera, des années plus tard à Paris, le mémorialiste à Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, sera l'incarnation même de cette angoissante liberté qui décide d'une vie. Qu'il s'agisse du combat mené autour de la revue Les Temps Modernes dont l'auteur deviendra la directeur à la mort du Castor, de ses enquêtes journalistiques ou du soutien conçu comme un impératif moral en faveur d'Israël, Claude Lanzmann aura toujours cherché à construire une réflexion dynamique là où d'autres se contentent de déconstruire le réel en y substituant leur propre représentation subjectiviste et donc anhistorique du monde.

Le point d'orgue de ces Mémoires conçues comme une fresque haletante et déterminée réside dans les pages consacrées à la création de l'œuvre d'une vie : Shoah dont le nom même dit l'indicible d'un temps passé qui ne peut ni passer ni disparaître. Conçue comme un chœur défiant par avance toute tentative hasardeuse de représentation, l'entreprise accumule les déboires, les retards, les soucis aussi bien financiers que moraux. La révélation foudroyante que le camp de Treblinka, en Pologne, est aussi le nom d'un village, avec ses habitants ayant conçu et aimé aux confins mêmes des camps de la mort, constitue la clef de voûte de tout l'édifice auquel l'auteur aura consacré une longue partie de sa vie. Les mots seuls dans leur assurée solitude et leur atemporalité symbolique sont l'unique refuge du Temps. A l'image du lièvre de Patagonie surgissant d'une mythologie personnelle, au cœur de l'un des nombreux voyages de l'auteur, le récit mémorial dans sa transgressive subjectivité représente la vérité même de ce qui est advenu. Nous quittons alors ces Mémoires, bouleversés, par cette révélation d'une actualité aujourd'hui oubliée quant elle n'est pas niée : le Livre et les Noms restent les derniers remparts contre la barbarie toujours renaissante.

Claude Lanzmann, Le lièvre de Patagonie, Editions Gallimard.

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