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Blog littéraire.


Leçon de physique épicurienne

Publié par olivier rachet sur 31 Décembre 2016, 19:17pm

      Quatrième tome de la Physique amusante, le dernier recueil de poèmes de Jacques Réda, Le Tout, le Rien et le reste, s’inscrit dans la filiation des cosmogonies poétiques de Lucrèce et d’Ovide. Remonter aux origines des phénomènes, par-delà bien et mal, retrouver non l’origine mais le mouvement premier, le rythme par lequel tout a commencé et tout recommencera :

       « Il me semble que tout se meut sur un seul rythme / Qui se conclut avec son recommencement ».

       Les poètes de l’antiquité étaient aussi de savants physiciens. Le mètre poétique était la mesure de toute chose. L’alexandrin qu’élit Jacques Réda épouse le rythme chaotique de l’univers, la pulsation vibrant au cœur de la vie. ll concurrence en cela le monopole grandissant des appareils de mesure qui, de l’infiniment grand à l’infiniment petit, prennent le contrôle de nos existences asservies à l’implacable loi du comptable et de l’interchangeable. Le poète se fait aussi prophète quand il perçoit la menace de l’avenir dans les errements du présent :

      « Ces appareils, on nous les greffera, j’en suis certain, / Pour rendre la mesure plus efficace et commode, / Chacun avec son numéro particulier de code, / Dans le cerveau, dans l’œil, le sexe, l’intestin. / Ainsi l’on déterminera le rythme des marées /
De l’âme, de la chair, puis on les normalisera. »

       En plaçant son ouvrage sous le signe de l’humour, Jacques Réda s’inscrit dans une veine plus satirique et parodique, rappelant aussi bien la poésie de Francis Ponge, fervent admirateur aussi du poète latin Lucrèce, que celle de Raymond Queneau dont la Petite cosmogonie portative est un palimpseste du recueil. Entre le Rien et le Tout, deux principes qui ne sont pas sans rappeler les éléments moteurs de la cosmologie chinoise, il y a tout le reste dont le poète s’amuse. L’eau, le temps, l’espace, la lumière mais aussi les trous noirs, les protons, les atomes ou non crochus. L’univers est en expansion continue, aucun principe ne semble l’ordonner. Le hasard, l’aléatoire règnent en maître. L’absurdité est la loi implacable de la matière. Doit-on s’en attrister ou s’en réjouir ? S’en amuser, répond celui qui ne cesse de s’émerveiller de cet éternel retour du mystère qu’est la vie :

      « L’Univers se déploie ainsi qu’un éventail / Dont chaque branche indique un chemin qui s’écarte / Des autres, mais partout le même épouvantail / Arbore SANS ISSUE en guise de pancarte. »

      Quel est alors ce moi qui s’exprime en poésie, en faisant abstraction de toute forme de lyrisme ? « Un assemblage informe de parties inconnues » comme le décrivait Figaro dans la pièce éponyme de Beaumarchais, un atome perdu dans un multivers insaisissable ? Qu’est-ce que représente, en ce début de siècle chaotique et sans boussole, l’acte d’écrire de la poésie versifiée ? Une expérience physique incomparable, une expérience intérieure sans commune mesure. Comme la découverte de ce vertige qui vous saisit au moment du réveil, quand le monde se déploie de ne pas vous avoir encore définitivement quitté. Toute la force du recueil affleure sans doute dans ces vers dans lesquels Jacques Réda semble regarder, souriant, le dernier combat qui bientôt se livrera à lui, avant de renaître sous la forme du vent ou d’un bouquet de violette, au fond d’un bois :

       « Tout ce que je croyais ferme en moi se délite / Et, sorti d’un combat qui me laisse vivant, /Je ne suis au réveil qu’un nuage sans vent / Qui doute de sa forme et que rien n’oriente. / Mais la vie, au travers, se penche, souriante / Comme sur le berceau de son commencement. »

      Jacques Réda, Le Tout, le Rien et le reste, La Physique amusante IV,  éditions Gallimard. 

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