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Blog littéraire.


L'amour des utopies

Publié par olivier rachet sur 20 Février 2017, 17:16pm

 

     Un romancier et essayiste part en résidence à Besançon pour participer à l’écriture théâtrale d’une pièce consacrée à deux artistes franc-comtois : l’un a œuvré à la composition d’une société utopiste, l’autre a peint des tableaux d’un réalisme cru pour rompre avec tout souci d’idéalisation. Charles Fourier est mort en 1837, Gustave Courbet en 1877. Sur la tombe du premier, André Breton écrit, un siècle plus tard, une ode clamant son amour des utopies. Sur les épaules du second aura pesé, jusqu’à la fin de sa vie, le lourd tribut lui demandant de rembourser les dégâts causés par la démolition de la colonne Vendôme, lors de la Commune de Paris. Le narrateur travaille aux côtés d’un metteur en scène atypique, ami de Jean Genet, ancien aumônier lors de la guerre d’Algérie. Ses absences répétées, ses parti-pris insaisissables précipitent le naufrage d’une création dont la question est moins de savoir si elle aurait pu voir le jour que de s’interroger sur la nécessité même de figer dans une représentation ce qui, par définition, échappe toujours.

     Loin de constituer une diatribe contre le théâtre et l’aplatissement spectaculaire qui lui est souvent corollaire, le roman de Jacques Henric explore, avec un goût prononcé de la digression et du cut up, les fondations d’une scène intérieure sur laquelle les souvenirs d’enfance côtoient les plus indicibles fantasmes, de laquelle les orchestrations délirantes d’un délire dionysiaque résonnent avec les réflexions philosophiques les plus audacieuses. « Il doit être possible de faire tenir sur une même colonne de vie toutes les choses, tous les actes, toutes les réalités (…). » En ligne de mire figure « L’origine du monde » de Courbet dont le narrateur envisage d’installer un agrandissement sur la scène du théâtre et qui sera prétexte à toute une série photographique de sexes féminins. Séances photos organisées par petite annonce, les belles franche-comtoises - ces femmes dont l’œil par la franchise étonne - répondant en masse.

      Portrait d’un artiste qui se présente sous les traits de « celui qui touche la vulve et la fait vibrer comme les cordes d’une lyre », le roman s’écrit sur le fil d’une double passion où l’amour des utopies se nourrit d’une pulsion de vie et de sexe à toute épreuve. On croise ces passants extraordinaires dont les œuvres ont fait la gloire de la seconde moitié du XXe siècle : Pierre Klossovski, Philippe Sollers, Pierre Guyotat, Jacques Lacan. Un Panama, une moto, un père qu’on enterre sont autant de points à partir desquels la narration se relance. Que l’une des séquences finales se situe dans un taxi dans lequel le romancier et Aragon se dirigent vers une gare parisienne est tout sauf anodin. Un relais brûlant se transmet entre les générations qui n’ont jamais transigé sur leurs désirs : celui de changer le monde tout en changeant constamment de peau. La chair du monde est peut-être triste mais aux artistes dignes de ce nom et aux utopistes d’en faire vibrer les cordes sensibles. Composé il y a plus de vingt ans, Adorations perpétuelles permet au lecteur qui s’y frotte de mesurer combien se sont tragiquement réduites nos scènes intérieures et démesurément agrandi le spectacle du monde. L’harmonie chère à Fourier est à des années lumières de nos possibilités créatrices. Ne marchons plus, rêvons ! Ne déprimons plus, désirons !

            Jacques Henric, Adorations perpétuelles, éditions du Seuil, 1994.

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