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Blog littéraire.


La nervure des papiers collés

Publié par olivier rachet sur 11 Avril 2021, 20:36pm

   Il est un thème passé inaperçu dans l’œuvre foisonnante de Sollers, celui de l’initiation. Sage taoïste, franc-maçon, alchimistes, sociétés secrètes en tout genre, l’initié est toujours cet enfant innocent qui accède au monde coupable des adultes, accompagné. L’accompagnement — motif musical s’il en est – est aux antipodes du consentement et permet au novice de pénétrer dans le cœur secrètement absolu de l’univers par l’entremise de tout un cortège de femmes, de musiciens, de poètes ou de peintres. Le dernier roman de Sollers, Légende, est ainsi une ode à l’initiation, c’est-à-dire au désennui, au plaisir clitoridien des femmes, à l’entente qui se noue entre amis autour de l’ironie. Il s’agit ici d’une forme d’écoute musicale qui se passe souvent de commentaires et évite l’écueil de l’explication psychologique. Est-il besoin de règlements de compte quand deux êtres – amis, amants, élèves ou maîtres, tous initiables à loisir – s’entendent sur un éclat de rire, un mot d’esprit, une vacherie même ? « L’amitié devrait être un partage d’ironie, écrit le narrateur. Pas de glu romantique, jeux de mots, rire, esprit. » Ou citant Friedrich Schlegel : « L’ironie est la claire conscience de l’agilité éternelle, et de la plénitude infinie du chaos. »

   De son côté, l’initiation est un mystère qui se développe sur fond de nuisances sonores, d’injonctions sociales, de bruits incessants à partir desquels peut avoir la chance de se composer une phrase musicale, c’est-à-dire une ligne d’écriture. L’initiation s’appuie sur une connaissance intime de l’art du paradoxe : sur un refus et un acquiescement. « Tout se détraque et se recompose en douce. On n’a jamais vu autant de folie, mais celui qui garde sa raison tient de l’or. La perversion règne, l’innocence brille. L’escroquerie est partout, l'honnêteté se renforce. Le désert s’accroît, les fleuves débordent. Le doute prolifère, la foi s’approfondit. L’ignorance augmente, la science progresse. La vulgarité explose, la délicatesse s’impose. La violence s’acharne, la douceur répond. »

   L’initié – celui qui a reçu le don des langues et la faculté de connaître – est aussi celui qui est le mieux à même de percer les mensonges du social, et notamment les inconforts de la mère célibataire mise à la nue par la technique. Chacun et chacune en prennent ici pour leur grade, dans une révélation carnavalesque de cette petite volonté de puissance qui traverse tous les corps pansant. Feu sur les aspirants et les aspirantes à la procréation médicalement assistée puisque « le désir d’enfant est un désir de domination et de réparation narcissique [...] Même le gay le plus débauché n’y tient plus, il veut être père en se retrouvant bébé. » Confidence rare chez Sollers, évoquant son expérience de la paternité : « Je suis mort en devenant père, et le choc a été aussi inattendu que violent. Je n’avais pas envie d’endosser cette identité, c’est clair. Mais, là, j’ai été renversé comme dans une initiation soudaine. »

   Alors qu’œuvrent en sous-main les « travailleuses de la mort » – le titre du roman est aussi un hommage rendu à Victor Hugo et sa passion de secourir autrui –, l’initié « [se] faufile dans le bleu », comme s’il nageait dans sa pensée et en profite pour nous livrer les clés de son art de la guerre et du goût, en citant le Manuel secret des 36 stratagèmes chinois : « L’occulte est au cœur du manifeste et non dans son contraire. Rien n’est plus caché que le plus apparent. » En la matière, le vert paradis des amours enfantines suffit souvent à pénétrer le cœur du mystère. En convoquant un personnage du nom de Daphné, que le narrateur a connu enfant, Sollers marche sur les pas d’Apollon et devient, après Nerval, l’un des fils de la Grèce. Daphné ou Laure, l’immortalité est toujours à portée de main et de bouche. Et si la Pythie délivrant ses oracles le faisait en mâchant du laurier, Sollers sait mieux qu’un autre que cette plante est aussi symbole de gloire et d’immortalité poétique auxquelles ce dernier accède, en digne héritier des taoïstes, de son vivant. L’infini tel qu’en lui-même.

   Reste qu’avec ce roman, Sollers retrouve aussi à loisir le pouvoir heuristique de la poésie, pouvoir de révélation qui se donne à lire dans une forme polyphonique et musicale du roman ; un assemblage hétéroclite de pensées et d’illuminations qui atteint la puissance synthétique des papiers collés de Picasso dans la nervure desquels Sollers navigue à vue depuis des années. Un enchantement.

Philippe Sollers, Légende, éditions Gallimard

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