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Blog littéraire.


La guerre, continuation du sport par d'autres moyens

Publié par olrach sur 21 Juin 2016, 19:34pm

 

      Juin 1990. Le mondial de football se déroule en Italie. Les quarts de finale voient s’affronter l’Argentine de Diego Maradona et la Yougoslavie dans laquelle officie, en tant que défenseur, Faruk Hadzibegic. Lors de la séance de tirs au but, ce dernier échouera à envoyer son équipe en demi-finale. Au même moment, la Yougoslavie se désagrège après que la Croatie de Franjo Tudjman et la Slovénie de Milan Kucan eurent proclamé leur intention de devenir des républiques indépendantes. Le romancier italien Gigi Riva compose ce récit qui tient à la fois de la chronique et du thriller politico-sportif, en ayant en ligne de mire ce « dernier pénalty » auquel le destin de Faruk, bosniaque de confession musulmane, restera toujours associé.

     La guerre aurait-elle été évitée si la Yougoslavie avait remporté la coupe du monde, en Italie? La liesse populaire d’un pays qui avait réussi pendant plusieurs décennies à faire coexister en son sein six républiques (Croatie, Slovénie, Serbie, Bosnie-Herzégovine, Monténégro, Macédoine) aurait-elle eu raison de la frénésie belliqueuse qui s’empara de hordes de supporters transformés en une soldatesque meurtrière ? Folie guerrière qui culminera en 1995 avec l’exécution de 8000 musulmans, à Srebrenica, exécutés par une cohorte d’assassins serbo-croates voulant en finir avec leurs frères de sang d’hier.

      A l’heure où les stades sont de nouveau hantés par des hooligans nationalistes voulant en découdre avec des équipes dont ils exècrent le cosmopolitisme, le roman de Riva résonne comme un inquiétant avertissement. Si comme l’écrivait Machiavel, la politique est la continuation de la guerre par d’autres moyens, on est en droit de se demander si la guerre ne constituerait pas « la continuation du sport par d’autres moyens ». Ainsi, un mois avant la coupe du monde de juin 1990, avait eu lieu à Zagreb un derby opposant le Dinamo de Zagreb à l’Etoile Rouge de Belgrade. L’affrontement de ces deux clubs, « deux petites armées en formation », fut alors l’occasion non d’une réconciliation pacifique sous le drapeau national mais bien au contraire d’une montée aux extrêmes de la violence verbale, prémisses de batailles plus sanglantes à venir. « Zagreb est en Serbie » clamaient les uns ; « Sécession », « Croatie » clamaient les autres. Si l’on croit que les compétitions sportives canalisent la violence, elles portent aussi en germe les conflits de demain.

      Retour en arrière historique. Promulguée en 1921 par le roi Alexandre Ier, la Constitution du royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes deviendra la République populaire fédérale de Yougoslavie, après le démembrement des empires ottoman et austro-hongrois. En annonçant à Amsterdam, lors d’une rencontre sportive consécutive au mondial de 1990, la dissolution de l’équipe nationale dont il était alors capitaine, Farouk Hadzibegic signera symboliquement, de son côté, le décret de mort d’un Etat cosmopolite ayant été entraîné dans sa chute par l’écroulement du bloc communiste. Si le XXe siècle débuta à Sarajevo par l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand, il toucha à son terme dans les années 1990 par une guerre multi ethnique et le génocide des musulmans bosniaques perpétré par les factions de Milosevic et de Radovan Karadzic dont on apprend qu’il fut psychiatre de l’un des clubs dans lesquels officia le protagoniste. Et à ses heures perdues, poète bucolique, chantre d’une nature purifiée, on l’imagine, de tous les miasmes de la ville. Gigi Riva donne, à cet égard, une clé de lecture intéressante lorsqu’il nous rappelle les origines montagnardes du bourreau de Srebrenica. Le conflit qui allait ensanglanter la Yougoslavie peut aussi se lire comme un affrontement entre la pureté de montagnards attachés à un mode de vie autarcique par opposition aux « centres cosmopolites » jugés corrompus. Les totalitarismes d’aujourd’hui et de demain auront toujours en ligne de mire cette utopie d’un monde débarrassé de la diversité qui le compose et de l’irréductible pluralité qui lui donne tout son sel.

       Qu’en est-il dès lors de notre XXIe siècle débutant par les attaques terroristes du 11 septembre 2001 et se prolongeant par une exacerbation et une montée aux extrêmes des discours nationalistes à l’encontre de sociétés que beaucoup rêvent encore de purifier ethniquement de toutes ses composantes plurielles ? En cela, les terroristes d’aujourd’hui se réclamant d’un islam politique dévoyé rejoignent dans leur folie meurtrière les hooligans russes ou anglais nostalgiques d’un temps où les idéologies totalitaires étaient sur le devant de la scène. On ne peut que s’étonner que des Etats leur emboîtent le pas et nous entraînent chaque jour dans des dérives sectaires toujours plus inquiétantes. A la lecture du roman, on se demande quels arbitres internationaux mettront fin à ces exacerbations identitaires toujours meurtrières. Exit les instances internationales ? Ne sommes-nous pas déjà en train de sortir de l’humain, de nous désanthropologiser ?

Gigi Riva, Le dernier pénalty, « Histoire de football et de guerre », Editions du Seuil, collection fiction & cie, traduit de l’italien par Martine Segonds-Bauer.

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