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Blog littéraire.


S'exercer à l'évènement

Publié par olivier rachet sur 4 Septembre 2016, 17:51pm

      Un abri high-tech, à des milliers de mètres d’altitude. Une narratrice surplombe un paysage de montagnes et fait le choix de s’isoler du monde. Des panneaux photovoltaïques génèrent l’énergie suffisante pour arriver à survivre. Les journées sont ponctuées d’escapades, de chemins tracés au coeur même de la roche. Quel est ce monde de la glaciation de toute relation sociale si ce n’est déjà le nôtre qui vivons dans des bulles de virtualité qui paradoxalement nous éloignent en nous rapprochant?

      La narratrice finira d’ailleurs, au gré de ses pérégrinations, par découvrir que la lande déserte qu’elle hante de sa haute solitude est habitée par un ermite, une femme vivant recluse elle aussi. Aucune communauté ne sera fondée, ni d’intérêt ni de besoins car il ne s’agit que de survivre au jour le jour et de se préparer à ce qui advient. « Je dois savoir si la détresse est une situation, écrit la narratrice, un état du corps ou un état de l’esprit ». Là où croît la plus haute détresse se manifeste l’évènement, non ce qui sauve comme l’écrivait Hölderlin, mais l’inattendu. La rencontre d’un animal sauvage, une tempête de neige.

      Le dernier roman de Céline Minard est, à sa façon, un exercice spirituel que n’aurait pas renié le père des Jésuites, Ignace de Loyola. Quelle posture adopter devant l’insurrection qui vient? Tout évènement qui advient est-il porteur d’une menace ou d’une sourde promesse? « La menace pourrait-elle être une contrainte forte et la promesse une contrainte douce? » « Il n’y aurait rien de plus dangereux alors qu’une relation humaine qui ne serait ni une promesse ni une menace. Qui n’aurait rien d’une annonce. » La précision de l’écriture est comme toujours, chez cette auteure qui revisite les genres et les codes littéraires et cinématographiques (Faillir être flingué nous plongeait au coeur d’un western déjà quasi métaphysique), une tentative non de saborder le réel mais de l’encercler petit à petit pour laisser advenir le jeu de l’évènement, le hasard de la péripétie. On pourrait croire, à la lecture, qu’il ne se passe rien mais c’est justement ce néant que l’on creuse pour laisser surgir l’action. Le retrait que choisit le personnage peut alors se lire comme la volonté de retrouver les choses en présence. A l’image de cette « cabane du paquet de laine de la compagnie électrique de la haute vallée ». La description sature moins le sens qu’elle n’épuise les apparences.

      Que désigne alors ce « grand jeu » qui donne son titre au roman? La tentation d’en finir peut-être avec toute forme d’autorité. Ou plus exactement la tentative de laisser du jeu advenir, en tendant, par exemple, un fil au-dessus de l’abîme pour se comporter enfin en véritable bipède que nous ne sommes pas : debout, sans la crainte de chanceler. « Il faudrait inventer une forme de jeu, écrit l’auteure, qui comprendrait un engagement sans contrepartie et une menace pure, impersonnelle, sans relation. L’engagement n’aurait pas pour motif le gain, la menace n’aurait pas pour fin la domination. Un jeu vide dont le mode opératoire serait la règle même. Une règle souple mais tendue qui changerait à chaque coup sans jamais détruire le jeu. » Ce que les sages taoïstes appelaient sans doute la Voie, un trait d’union avec l’univers. Le Grand Jeu est peut-être le roman le plus chinois de Céline Minard qui pourrait faire siens ses propos de François Cheng :

« Rien de ce qui est vivant n’est fixe et définitif. Ce qui est apparemment stable se fonde dans le mouvant; ce qui est apparemment fini se noie dans l’infini. L’Univers est en perpétuelle transformation. » Parions, nous sommes embarqués dans le jeu de l’oscillation de forces contraires et complémentaires, à la fois. Un vent souffle sur les brèches de nos existences.

                           Céline Minard, Le Grand Jeu, Editions Rivages.

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