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Blog littéraire.


Le peintre et le chaman

Publié par olivier rachet sur 27 Février 2018, 14:11pm

   La ville de Tanger n’en finit pas de fasciner tous ceux qui s’intéressent à ce que fut le centre névralgique de la Beat Generation dans les années 1950. Si l’on a pendant longtemps associé cette période à des figures étrangères telles que Paul Bowles, William Burroughs, Jack Kerouac ou Allen Ginsberg, on ne peut que saluer désormais cette tentative de sortir de l’ombre ces artistes marocains dont il est grand temps de redécouvrir le talent et la frénésie créatrice.

    Mohamed Amri est inséparable de son lieu de naissance, Joujouka, village situé à Djebel al Serif, « dans les contreforts du Rif, précise l’auteure, que ne mentionne aucune carte du Maroc. » Pour tout amateur de musique, ce lieu évoque irrésistiblement ces maîtres musiciens traditionnels que le peintre fera découvrir notamment à Brian Jones, ancien membre des Rolling Stones dont l’album « Brian Jones Presents the Pipes of Pan at Joujouka », paru en 1971, sera illustré par une peinture originale de Mohamed Amri.

    Mais le destin du peintre, que retrace de façon palpitante Latifa Serghini, est avant tout celui d’un autodidacte, passé maître dans l'art de la contrebande ferroviaire et des activités interlopes. Sa rencontre avec Brion Gysin, peintre et romancier, auteur de Désert dévorant et inventeur de la technique du cut up que s’appropriera William Burroughs, sera déterminante dans son aventure artistique. Le portrait que trace de lui le chanteur et producteur irlandais Franck Rynne ferait presque regretter de ne pas avoir croisé sa route : « C’était un authentique joueur, 100% pur interzone de la Beat à Tanger, un contrebandier, un charmeur, un criminel, un saint, une force de la nature, un magicien, un soufi, un conteur, et un peintre. Il était artificieux ? Mais que diable peut-on y faire ? »

    Emportée par son sujet, l’auteure en oublie presque parfois d’évoquer le rapport de Hamri à la peinture. S’il semblerait que ce soit dans l’atelier d’un maître-pâtissier qu’il ait appris à « [apprivoiser] la couleur en manipulant les glaçages sucrés et colorés », son apprentissage gagne en maîtrise lorsqu’il se met à recouvrir de fresques les murs des principaux bordels de Rabat. On trouvera des témoignages étonnants d’une période dont beaucoup se souviennent à travers la persistance du terme de « bousbir », du nom d’un quartier de Casablanca, devenu un mot générique désignant un lupanar.

    Les tableaux figuratifs, dont certains sont reproduits en fin d’ouvrage, représentent le plus souvent des motifs familiers : moussems, médinas, portraits d’hommes et de femmes en habits traditionnels. Le peintre fait fi de tout effet de perspective, esquissant son trait, quitte à donner une impression d’inachèvement. Le peintre Fouad Bellamine rapproche davantage son travail d’une forme de spontanéité que d’un art faussement naïf : « C’est une figuration spontanée réalisée à la petite brosse avec une peinture liquide de fortune. »

    On aurait aimé que l’évocation de la peinture prenne parfois le dessus sur le caractère biographique, certes passionnant, mais laissant dans l’ombre ce rapport magique à la peinture que Mohamed Hamri revendiquait, non sans mystère : « Le tableau est un talisman pour l’artiste, disait-il dans un entretien au journal Al Maghrib. Celui qui croit acheter un tableau se trompe. C’est le tableau qui daigne aller avec lui. » Avis à tous les acheteurs d’aujourd’hui plus avides de placer leur argent que de percer l’énigme de la peinture !

Latifa Serghini, Mohamed Hamri – Peintre et saltimbanque, éditions Art’Dif, collection « Archives des Arts »

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