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Blog littéraire.


Passions fixes

Publié par olivier rachet sur 14 Février 2019, 09:41am

   Jadis si je me souviens bien, ma vie littéraire était un festin alimenté par les chroniques régulières de Sollers publiées en une du Monde des livres, dirigé alors par Josyane Savigneau. Dix-huit années de collaboration ayant donné lieu à une belle amitié de combat et à un ouvrage central dans l’œuvre de Sollers La Guerre du Goût. Une conversation infinie est la continuation par d’autres moyens, celui si peu goûté aujourd’hui de la conversation qui parfois peut prendre le tour de la polémique, de ces affinités électives devenues si rares dans le monde des lettres ; ne parlons pas du journalisme littéraire qui souvent nous fait honte ! Qu’y découvre-t-on ? Un Sollers plus en forme que jamais, un homme de lettres qui, à l’image des femmes qu’il a aimées, est un gnostique radical. Pas un agnostique suspendant paresseusement son jugement, mais un être avide de savoirs et de connaissances. On rapproche souvent Sollers de l’esprit encyclopédique des Lumières, mais c’est de plus en plus aux géants rabelaisiens qu’il conviendrait de le comparer tant sa renaissance est à l’image de la promenade amoureuse et littéraire que constitue cet ouvrage : infinie ! Seul celui qui sait – notamment comment jouir – peut s’octroyer le luxe de porter un jugement. Pas un jugement à la verticalité toute jupitérienne, mais une appréciation dionysiaque nécessairement horizontale. Une débandade de parfums, « l’expansion des choses infinies » dont parle toujours Baudelaire dans « Correspondances », une coloration féérique de tous les instants. Ni un monothéisme, ni un polythéisme, mais un athéisme fondamental qui ne ferait pas l’économie de la connaissance de Dieu. Il fut un temps pré-claudélien où connaître signifiait peu ou prou baiser, alors connaissons, mes frères !

   La passion de la connaissance et du savoir est à rebours de toutes formes de croyance, notamment sexuelles. Sollers a toujours professé un athéisme sexuel radical. N’aurait-il pas soufflé à Philip Roth dont Josyane Savigneau est l’une des grandes lectrices son Professeur de désir, on peut le rêver ? « Elles connaissent le noir, elles aiment le bleu », écrit Sollers dans Portraits de femmes, à propos des femmes qu’il a aimées. Le savoir est tout d’abord celui du négatif toujours à l’œuvre, qu’on l’appelle Diable, hystérie, spectacle, péché c’est-à-dire « calcul », mensonge sous toutes ses formes ou social dans son ensemble et sa volonté de tout ensembliser, pour imaginer un néologisme qui s’opposerait à celui inventé par Dante dans La Divine Comédie : « toujouriser ». « Le Diable, par définition, ne peut pas supporter la connaissance sexuelle », renchérit Sollers, ajoutant que « ce qui gagne à la fin, c’est le savoir ». Le savoir est, quant à lui, inséparable de la beauté et disons-le de l’amour. Ne pas céder sur son désir de beauté et donc d’aimer. Il est souvent question d’amour dans cette conversation à bâtons rompus, des lettres somptueuses que Dominique Rolin et Sollers se sont échangées pendant une cinquantaine d’années. Les correspondances font aujourd’hui florès, fleurissent comme des bouquets aux parfums infinis, et l’on aimerait ajouter aux exemples que l’auteur nous donne ceux d’Artaud et d’Anaïs Nin ou de Génica Athanasiou, sans parler des Lettres à Sophie Volland de Diderot qui essaiment dans plusieurs romans de Sollers. Il arrive, parfois, que Josyane Savigneau, passée maître dans l’art d’interroger son interlocuteur, titille l'auteur de Femmes sur sa conception de la fidélité. — La fidélité, « une constance intellectuelle radicale », lui répond-il, imperturbable. — La vieillesse, alors ? — « Vieillir, lui rétorque-t-il, c’est rajeunir. [...] Je cours peut-être moins vite, mais je pense plus vite. » Un auteur aujourd’hui pour dire mieux ? J’en doute. Sollers serait plutôt d’ailleurs un compositeur, un dragon chinois, un sage taoïste, mais c’est une autre histoire...

Philippe Sollers, Josyane Savigneau, Une conversation infinie, éditions Bayard.

@crédit photo : Jacques Cauda, Surfiguration

@crédit photo : Jacques Cauda, Surfiguration

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