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Blog littéraire.


Sucer le Paradis

Publié par olivier rachet sur 18 Avril 2021, 12:43pm

   Et si la perpétuation de l’érotique sadienne était moins tonitruante que l’on pourrait s’y attendre ? Peut-être paraîtra-t-il incongru aux admirateurs du cinéaste portugais João César Monteiro de commencer par établir une telle filiation. Mais c’est qu’en lisant, d’une main alerte, Une semaine dans une autre ville, Journal parisien & autres textes, l’on découvre qu’il ambitionna de porter à l’écran La Philosophie dans le boudoir du Divin Marquis ; j’entends porter dans son sens anatomique, séminal et musical de gestation. Le projet sera ajourné, reporté donc, mais en dit long sur l’éthique de ce réalisateur de génie, auteur de La Comédie de Dieu et inventeur de ce personnage ahurissant de Jean de Dieu, à mi-chemin de l’anachorète, de l’acteur burlesque et du saint cultivant avec une rare méticulosité ses perversions les plus intimes, comme celle de collectionner les poils pubiens.

   Monteiro, dans ces textes que l’on découvre tardivement, n’hésite pas, quant à lui, à convoquer les notations les plus triviales ou les remarques en apparence les plus futiles, comme mentionner ses selles. Et c’est à Montaigne que l’on songe dont le scepticisme convient si bien à l’imperturbabilité délicate de ce comédien, auteur et réalisateur, et pervers de génie : « Il y a des gens qui ne se sont jamais cultivés par le bas, écrit-il ainsi dans son Journal parisien. Je ne me réfère pas tant à une culture de l’eau, aux psalmodies de bidet, en éventuelle opposition avec le haut, l’élevé, qu’à une méfiance de base, élémentaire, entre donner un coup de pinceau et tremper son pinceau. » On imagine que la doxa du jour dégainerait vite son accusation d’érotomanie, oubliant que la sophistication dans le vice est d’abord une poétique, puis une éthique. Sade restant d’ailleurs attaché pour Monteiro à « un principe de délicatesse » dont la répétition musicale est la clé. Dont acte. Moteur ? Action !

   Mais, nonobstant la culture encyclopédique qui reste la sienne, João César Monteiro demeure toujours cinéaste, c’est-à-dire qu’il pense en images et en sons, en couleurs ; en poète et alchimiste déréglant tous les sens, à mille lieues de la production cinématographique dominante : « Quand la pensée ne pense pas ou est mal pensée, écrit-il dans une lettre à Max Schœndorff, Kodak ou Fuji s’arrangent à le penser multinationalement pour nous. Grâce à Dieu, la chose se fait naturellement et l’optimisme pour la coloration y est un peu plus circonspect que celui de la vieille Agfa. [...] Et j’ai néanmoins le pressentiment qu’il y a une relation indissociable entre les couleurs et la lumière (à partir des Vénitiens ?), entre les couleurs et le son (à partir des impressionnistes ?) et que cette relation s’accorde aux formes pour former de nouvelles formes. »

   Dans un entretien avec José Rodriguez da Silva, Monteiro évoque enfin la quintessence de son cinéma dont l’unique raison d’être serait de célébrer la Joi d’amor chère aux troubadours. Il est une logique à tout ça : « passer de l’abomination au sacré. Et le sacré, précise le cinéaste, est une chose qui se touche. Qui se touche, en essayant de ne pas le profaner. De ne pas profaner quoi ? Essayer de ne pas profaner le réel. » Si une formule musicale pouvait résumer une œuvre que nous invitons tout le monde à (re)découvrir, ce serait ce propos tenu par Monteiro au sujet de La Comédie de Dieu : « Si Dieu a créé le paradis pour que nous le perdions, Jean de Dieu a créé la glace Paradis pour que nous la sucions – preuve irréfutable que, à l’inverse de son prédécesseur, il était de bonne foi. »

João César Monteiro, Une semaine dans une autre ville, Journal parisien & autres textes, traduit du portugais par Pierre Delgado, éditions La Barque.

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