Qu’il y eût des artistes femmes dadaïstes semble avoir échappé à certains historiens de l’art ! Dans son dernier ouvrage Les Mains d’Hannah, « liberté illimitée pour Hannah Höch », Perrine Le Querrec rétablit tout d’abord un équilibre malmené. Souvent présentée comme ayant été la compagne de Raoul Haussmann, Hannah Höch (1889-1978) n’en reste pas moins artiste et ses photomontages ou autres collages trop peu connus en témoignent. « Il nous faut des œuvres fortes droites et précises et à jamais incomprises », écrit Tristan Tzara dans son Manifeste DADA de 1918, mais les dadaïstes tel que Haussmann avaient encore quelque mal à concilier leurs paroles avec leurs actes : « [...] il écrit des brûlots des branlettes des brandilles où l’amour libre dégagé de toutes contraintes paternalistes et surtout la femme libre, des femmes libres de l’admirer de l’aimer de le supporter de l’entretenir, voilà la liberté », assène Le Querrec dans une langue n’hésitant pas à pratiquer l’anacoluthe qu’elle aime écrire « hannahcoluthe ». Coup de poing ! « Nous sommes aussi des femmes [...], politiquement, nous sommes naturellement des extrémistes », écrit de son côté et comme en écho Hannah à sa sœur Grete, en 1921, pour fustiger ce mépris dans lequel les femmes artistes – mais faut-il encore les nommer ainsi ? –, restent alors enfermées. « Reprenons : tu as déjà vingt-deux ans lorsque tu te présentes à l’école des Arts Déco de Charlottensburg, dé co ra tion car fille de fil en aiguille des travaux de dames s’ensuivront des ‘collages de dames’ disent-ils, avec des dentelles et des patrons de couture, on voit ce que l’on veut bien voir les hommes prompts à juger : “Ce sont des travaux de dames.” Point. »
Mais derrière cette réhabilitation bienvenue, Perrine Le Querrec propose surtout un texte sauvage, abrupt et, si le mot n’était pas galvaudé, nous aimerions dire expérimental ; variant les systèmes énonciatifs, multipliant les inventions formelles, les décrochages. « Écrire sur toi c’est suivre la danse de tes ciseaux », et c’est bien cette esthétique-là du collage et du montage qui s’inscrit dans la trame même du livre, comme si l’on ne pouvait révéler les fêlures, les ratages d’un monde – en l’occurrence ici celui de l’éphémère République de Weimar qui engendra l’une des pires barbaries de l’Histoire –, en train de se déliter que de cette façon-là : en coupant, tranchant, ré- agençant. « Alors opérer le langage, la syntaxe de l’image », clame Le Querrec. « Face à l’adversité la plus extrême, en dépit du danger de tous les instants, elle fracture l’image pour mieux en révéler la fabrication », ajoute-t-elle à propos du travail de l’artiste. Et c’est bien cet art du montage, qu’il fût ou non dialectique, que les avant-gardes du début du XXème siècle nous ont légué de plus précieux ; à mille lieues du naufrage d’une littérature contemporaine qui se rêve tout autant résiliente qu’inclusive. Horreur ! Tranchons !
Perrine Le Querrec, Les Mains d’Hannah, « liberté illimitée pour Hannah Höch », éditions Tinbad