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Blog littéraire.


Amitiés franco-allemandes.

Publié par olrach sur 3 Décembre 2012, 15:41pm

 

 

 

            La rentrée littéraire, toujours massive, opulente, intimidante, occulte souvent l’essentiel, les interrogations dont les romans proposent l’exploration. Deux romanciers reviennent ainsi sur le premier conflit mondial dont notre monde européen tente encore aujourd’hui d’émerger. 14  de Jean Echenoz et Les œuvres de miséricorde de Mathieu Riboulet auscultent la mémoire d’une guerre et s’interrogent sur cette faculté propre à l’homme de détruire, d’annihiler son semblable. A l’image de cette pulsion de mort qui, au début du siècle précédent fit diagnostiquer à Freud un « malaise dans la civilisation » même, un malaise inhérent au concept de civilisation dont les anthropologues ont su montrer qu’il n’excluait pas la présence en soi d’une certaine forme de barbarie ; à l’image de Thanatos, la mémoire, nous rappelle Mathieu Riboulet, n’est pas une vertu mais une simple faculté. A ceux qui, forts de leur devoir de mémoire, s’engluent dans un impératif de célébration, nos romanciers opposent le travail de la mémoire elle-même qu’il s’agit toujours de remettre sur le métier.

            Les œuvres de miséricorde se proposent ainsi de partir en quête de l’ennemi d’hier. Connaît-on aujourd’hui mieux qu’au siècle précédent nos voisins allemands ? La réponse est incertaine. Le narrateur passe le Rhin et décide de coucher avec un allemand pour affiner ses connaissances. L’expérience n’est pas dépourvue d’une dimension sacrificielle qui rappelle l’univers de Mishima. Le récit détaille alors  ces œuvres de miséricorde sur lesquelles repose, depuis l’Evangile de Matthieu, la connaissance même du Christ, c’est-à-dire de l’autre en soi. Ce parcours initiatique convoque la peinture de Caravage dont l’empathie avec le peuple, ce commun des mortels auquel nous appartenons tous, n’a d’égale que l’exploration ultra-réaliste et dramatisée à la fois de la cruauté humaine, trop humaine. Tel est bien le constat en clair-obscur auquel Riboulet parvient : la main qui tue est aussi celle qui est susceptible de prodiguer une caresse à l’être aimé, désiré. La main qui tue est aussi celle qui peint.

            Un roman passé quasi inaperçu interroge, avec une aussi grande acuité, la relation franco-allemande. Il est signé Bruno le Maire et se nomme Musique absolue. Une répétition avec Carlos Kleiber. La figure centrale de ce premier roman est celle d’un chef d’orchestre trop peu connu, dont la famille émigra en Argentine, lors de la montée du nazisme. Fasciné par l’interprétation que donna Kleiber d’une symphonie de Beethoven, le narrateur, un journaliste parisien en quête de l’absolu qu’est la musique, mène l’enquête et s’appuie sur le témoignage d’un violoncelliste d’origine autrichienne, Nikolaus, qu’il retrouve finissant ses jours dans la ville éternelle. A l’image du narrateur des Œuvres de miséricorde, l’homme interviewé par le journaliste affiche son homosexualité que sa famille l’a contraint de dissimuler. Surgit alors une époque révolue, au rigorisme étouffant, où précédant de loin la première guerre mondiale, des compositeurs tels que Haydn, Mozart, Brahms ou Beethoven, la plupart issus d’empires à l’article de la décadence, savaient enchanter une Europe qui, toutes nationalités confondues, connaissait les plus géniaux de ses artistes. Ce monde ancien là est passé mais il reste notre héritage. Et si Napoléon faisant son entrée dans la capitale autrichienne avait assez d’oreille pour admirer la musique de Haydn, qui, en guise de défi, entonna, lors de l’invasion française, un hymne à la gloire de François II, empereur du Saint Empire germanique ; gageons que le lecteur d’aujourd’hui, européen sceptique, peut retrouver à loisir ce temps sacré de l’expérience esthétique. Ce temps qui nous relierait encore à nos amis allemands si nous savions dépasser le pessimisme de Nikolaus qui, à propos de l’amitié franco-allemande, tempête : « Que valent les sentiments entre deux amis qui ne se connaissent pas ? ».

 

Mathieu Riboulet, Les œuvres de miséricorde, Editions Verdier / Bruno le Maire, Musique absolue. Une répétition avec Carlos Kleiber, Collection « L’Infini », Editions Gallimard / Jean Echenoz 14, Editions de Minuit.  

Amitiés franco-allemandes.
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