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Blog littéraire.


La violence du monde

Publié par olivier rachet sur 11 Septembre 2018, 22:08pm

   Pierre Guyotat, dites-vous ? J’en ai vaguement entendu parler. Un de la bande à Sollers, l’Algérie, une langue à couper au couteau. Le bordel, les échanges prostitutionnels ; oui, oui. Et puis ? – Et puis, la traversée des enfers, le Purgatoire à perte de vue, un au-delà toujours improbable. Le crime, les déjections, les peaux qui suintent, les sexes qui n’en peuvent plus de rougir. Et la vermine, les poux, les rats. Et puis, la défécation, la semence retenue en texte. Voyez-vous, à force de falsifications, d’impostures en tout genre, il se pourrait que les lecteurs d’aujourd’hui n’entendissent point une langue parmi les plus belles qui nous fut donnée d’entendre depuis Genet. Une langue qui s’éprouve et ne vaut que d’affronter le Verbe incréé, les lambeaux de langue divine, celle de la prédication et du tout-venant. Une langue de révolté, de fugueur, de proscrit. Une langue qui déroge à toutes les règles et tous les règlements : « Admettre un mode d’emploi, quand tout est électrique, court-circuit, composer avec le réel, le couple posément poser des compromis, douleur, déchirement pour un enfant de Dieu – qui Dit et C’est. » Que voulez-vous, Pierre Guyotat est poète, dans la lignée de Rimbaud dont il prolonge, en le court-circuitant le « long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. » Pierre Guyotat est un voyant sublime, car il renverse la position hiérarchique du poète tout-puissant pour lui substituer le point de vue, très ducassien, du pou et de la fourmi. Une focalisation zéro pointé, si vous voulez : « [...] vu de très haut (mais qu’est-ce que très haut ?), nous grouillons comme les fourmis qui nous font peur ou comme la vermine que nous brûlons ». – Vous délirez, monsieur Rachet, vous êtes fou ! – Je ne délire pas, je ne suis pas fou ! Je vous dis et répète que Pierre Guyotat est le plus grand écrivain vivant et que vos oreilles sont trop distordues pour l’entendre. Trop hermétiques à la poésie, voilà ! Et taxez-moi de snobisme, si le cœur vous en dit. Ou écoutez donc ce qui va suivre !

   Reprenons. Idiotie est l’unique roman à lire, aujourd’hui. Pour ceux qui aiment les cases, confort des casiers qui croulent sous la bêtise des livres scolaires qui passent sous silence le sang, le sperme, la merde, Idiotie rappelle les romans de formation. Nous sommes en 1958, à Paris, puis à Alger. L’adolescent de 18 ans fugue. Il vole sa famille, il a faim. Il fait office quelques temps de coursier, mais aussi de ghost writer, de nègre – « c’est depuis un fantôme que nous vivons ». Il croise « des adolescents dont quelques-uns sont ‘de peau arabe’, de celle qui alors fait peur. » Scènes incestueuses entre deux jumeaux. L’adolescent commence à s’affranchir des références religieuses qui sont les siennes ; lui font encore venir des sanglots. Cut. Après son frère aîné, ayant passé plus de trente mois, en Algérie ; c’est au tour du jeune poète en herbe d’être parachuté sur une terre qui commence à vaciller, échappant à la République française, vers quoi ? A-t-on lu Tombeau pour 500 000 soldats ? La guerre d’Algérie qui ne veut pas dire son nom est ce court-circuit qui contribue à façonner aussi la langue de l’écrivain en devenir : « nettoyer les chiottes délivre des exercices de soumission, isole des cris, des ordres répétés : retrait dans les déjections comme retrait dans la Nature. » La langue de Guyotat défie le pouvoir même de nomination qui est l’apanage de Dieu, électrocute le Verbe sans promesse d’un au-delà de la signification. C’est que Dieu aussi se déshonore à contempler les crimes de ceux qu’il a façonnés à son image : « Dieu créateur illuminant le crime de ses créatures ? » Les notations sont là, pour l’éternité. Choses vues, entendues, recréées : « Une embuscade, m’y échapper, je trouverai bien une paire de souliers abandonnée au bord de l’oued [...] ». La violence du monde est là sous nos yeux, regarde « l’entrejambe d’un qui pédale la gégène et qui viole ». À propos de Dieu, encore, cette interrogation abyssale : « [...] aurait-Il oublié de me créer ? Et suis-je humain ? Rien que de l’espèce [...]. »

Pierre Guyotat, Idiotie, éditions Grasset.

Crédit photographique & Aurèle Andrews-Benmejdoub

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