Voilà un livre bien singulier qui résiste à l’interprétation et fourmille de pistes ne menant sans doute nulle part. Son auteur est connu pour ses traductions de Marc Twain, aux éditions Tristram, et sa collaboration à la dernière traduction en date d’Ulysse de Joyce, aux éditions Gallimard. Ce roman unique, publié post-mortem, fait d’ailleurs irrésistiblement penser au Portrait de l’artiste en jeune homme, revisité par les ombres errantes de Borges, de Kafka ou de Shakespeare ; à moins qu’il ne s’agisse de leurs plagiaires, de leurs traducteurs ou de leurs noms d’emprunt. L’imposture ne guette-t-elle pas tout aventurier de la chose littéraire ? Le narrateur, lui, s’emploie à distiller, comme dans tout bon roman policier, des fausses pistes relatives à l’identité vacillante d’un personnage de traducteur qu’il a choisi de baptiser Franck Perceval Ramsey dont il déclare qu’il « est un être transparent, un écrivain de seconde main, à travers lui, on aperçoit l’auteur de l’œuvre originale, lui c’est à peine si on sait qu’il existe. » À l’instar de l’auteur de Fictions, Hœpffner sait quelle peut être la force de déflagration de l’écriture littéraire, fût-elle ou non le fruit de la langue maternelle : « Une traduction, précise le narrateur, devrait plus souvent se faire outil, serpent pénétrant la langue pour y injecter son venin. » Aussi s’emploie-t-il, avec une virtuosité toute oulipienne – en témoignent les chapitres « Tentative d’épuisement du bleu » ou « La Mer » – à dresser à la fois le portrait d’un homme amoureux des lettres, des femmes et de la mer qui l’emportera au large du Pays de Galles ; et à ériger la traduction en véritable travail d’écriture. Une prouesse !
Bernard Hœpffner, Portrait du traducteur en escroc, éditions Tristram.