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Blog littéraire.


Distorsion historique

Publié par olivier rachet sur 2 Mai 2024, 17:57pm

   C’est à une expérience de lecture peu commune que nous convie Alain Santacreu dans Le Roman Retrouvé. Marqué tout d’abord par une distorsion des voix narratives, le récit cherche à faire coïncider mensonge de l’Histoire et roman de la fin, en prenant appui sur cette distorsion première que l’auteur fait remonter à la guerre d’Espagne. « Pour le roman de la fin, précise-t-il dans un entretien avec Caroline Hoctan republié en fin d’ouvrage tel un readymade duchampien et paru dans un premier temps sur le site www.d-fiction.fr, l’espace concentrationnaire globalisé, l’‘espace d’exception‘ d’Agamben, commence avec la ‘fin de l’Histoire’ ». En ayant occulté la dimension de révolution sociale du conflit au détriment d’une lecture erronée opposant fascisme et idéal républicain, l’Histoire oubliée, falsifiée de la guerre d’Espagne serait pour Santacreu la matrice d’une falsification plus générale, celle d’un « spectaculaire intégré », pour reprendre les mots de Debord, rejouant sans cesse le match opposant fascisme et antifascisme ; paradigme dont on peut continuer à voir les ravages chaque jour dans la presse et les discours politiques. « La guerre d’Espagne, écrit l’auteur, ouvrit l’ère apocalyptique de la fiction absolue [...] En effet, si la Deuxième Guerre a commencé en Espagne, en 1936, elle ne peut donc plus être interprétée comme le combat de la démocratie et du communisme contre le fascisme antisémite. Par contre, cette guerre doit être perçue comme la conséquence de la complicité des démocraties occidentales et du bolchevisme contre la révolution sociale en Espagne. »

  Mais loin d’être un essai théorique, le roman brille aussi par son aspect expérimental déclinant différentes instances énonciatives permettant de distinguer un narrateur passant du « je » au « il », un personnage prénommé Julius Wood et un auteur dont la figure ne cesse de s’estomper quand on n’assiste pas à sa disparition élocutoire. « Il y a un dessin de Saul Steinberg qui représente un homme en train de s’effacer lui-même avec une gomme, c’est ainsi que j’ai écrit ce livre. [...] Le narrateur anonyme du roman, précise ailleurs l’auteur dans l’entretien avec Caroline Hoctan, en est son premier lecteur. C’est un personnage double : une âme dans un corps étranger, celui d’un personnage fictif prénommé Palas. » Si le Nouveau Roman inaugurait une ère du soupçon, le Roman Retrouvé qui donne son titre à l’ouvrage inaugure plutôt une ère de destruction massive de l’Histoire que l’on peut, en ces temps troublés, appeler « guerre », tant la guerre reste la continuation de l’Histoire par d’autres moyens. C’est ce complot permanent du pouvoir qui nous est ici raconté, son entêtement à rayer toute lecture critique de l’Histoire en l’assimilant au mieux à une forme de complotisme, au pire à un négationnisme inquisitorial. Ce qui est au cœur de ce récit est bien cette falsification constante du Moi, de l’histoire des représentations dont témoigne, en histoire de l’art, la falsification perspectiviste des tableaux de la Renaissance. En témoigne aussi l’histoire même du judaïsme, assassiné à deux reprises, dans son âme et dans son corps. « La branche des séfarades et celle des ashkénazes sont reliées au tronc d’Israël, comme l’âme l’est au corps. Le corps d’Israël est ashkhénaze et son âme séfarade. Parce que goush et nephesh sont indissociables, l’holocauste juif du XXe siècle est celui de la chair d’Israël, le génocide de son corps et de son âme, l’extermination de son âme par la guerre d’Espagne et celle de son corps par la Shoah. L’âme juive a été anéantie par les bolcheviques et le corps juif par les nazis. »

   Ce qui au final surnage de ce roman d’une érudition époustouflante est la force, non ce qui toujours nie, mais de cet « incréé » dont Dieu pourrait être le nom, c’est-à-dire de l’esprit sanctifiant chacun de nos actes de parole, de pensée et de résistance à toute forme de pouvoir. À cet incréé répond un pacte de « contrelittérature » incitant le lecteur à prolonger cette partie d’échecs « épico-métaphysique », pour reprendre les mots de Mehdi Belhaj Kacem dans la préface, qui se joue entre le personnage de Julius Wood et Marcel Duchamp dont « Le Grand Verre » traverse toute la narration, comme une possibilité offerte de transcender le Temps à travers une quatrième dimension qui est tout autant celle de la lecture, de la mort à soi, de la prière ou de la révolution anarchiste qui va à l’encontre de tout mot d’ordre. Passionnant !

 

Alain Santacreu, Le Roman Retrouvé, éditions Tinbad

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