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Blog littéraire.


L'amour, l'art du temps

Publié par olivier rachet sur 3 Mai 2024, 18:22pm

   C’est le récit musical d’une expérience amoureuse, une partition de tous les sens qui se formule dans une prose forcément poétique. Le dernier roman de Vincent Roy, Retour à Kensington, enchante tout d’abord par la vivacité de sa narration, laquelle n’a rien à envier au tourbillon d’un récit comme Point de lendemain de Vivant Denon. Écoutez plutôt ! « Tout est allé très vite entre nous, la chance, le temps, loi du moment. Rencontre à Paris, au Flore, un soir, conversation directe, c’était écrit. Dîner à la Closerie ensuite, pas un mot sur nos passés, le présent à-pic. Et le rire, d’emblée. »

   C’était écrit mais tout reste justement à écrire de ce roman qu’est la vie lorsqu’elle se prête, sans rancune ni ressentiment, aux plaisirs de tous les sens. Scandale ? Peut-être. Un roman s’écrit alors sans story géo-localisable et se place d’entrée de jeu sous l’égide d’un certain chevalier de Seingalt que seuls les amoureux fous de littérature française peuvent encore identifier. Car ce roman flamboyant est surtout une ode à la littérature et une diatribe véhémente contre ce que l’auteur nomme à juste titre une « littérature industrielle » ayant érigé le faux en idéal consumériste. Oui, la littérature est aussi un produit de consommation jetable que les libraires la plupart du temps recyclent, « poublient » ou « poubellisent », quand elles ne boycottent pas tout simplement les livres qui leur déplaisent. C’est prouvable ! « Les grands livres sont des navires de guerre, des sous-marins de grande croisière, clame ainsi le narrateur. Lire, c’est désobéir. »

   À cette falsification, qui n’est que l’autre nom du marché globalisé, s’oppose, dans la pure tradition rimbaldienne, la vision intérieure et musicale, synesthésique. Dès les premières pages, toute la réussite de ce récit mélodique est de célébrer les couleurs, en digne héritier des peintres galants ou impressionnistes. « Alice porte un manteau bleu assez court, on dirait qu’elle glisse lentement sur le velours vert du gazon, j’embrasse ses lèvres rouge vif, sa nuque corail, je lui chuchote des mots très crus de toutes les couleurs, c’est joyeux et piquant, diablement vrai et vivant [...] ». S’agit-il d’un simple programme, d’un divertissement galant ? Bien plus, c’est la vérité en action, une éthique que la première épigraphe du livre place sous le signe de Spinoza : « Un amour qui doit occuper, autrement dit constituer, la plus grande partie de l’esprit ».

   Rétablir la vision n’est pas une mince affaire: cela peut s’expérimenter, mais cela ne peut pas ne pas s’écrire comme en témoignent ces Mémoires de Casanova qui traversent tout le roman, comme un contrepoint inouï de ce que les amants se procurent l’un à l’autre. De là découle une définition du roman, aux antipodes des élucubrations familiales colportées par les libraires de l’industrie : « Roman : répertoire des visions dont les valeurs de luminance et de chrominance sont inversées par rapport aux valeurs dites d’usage – valeurs sociales. Le rouge devient cyan, le vert devient magenta, le bleu devient jaune et inversement : les régions sombres deviennent claires, le noir devient blanc. C’est là. »

   Et Kensington, Londres dans tout cela ? Rimbaud, Casanova, Haydn, Monet, Thomas de Quincey ; tous sont passés par Londres où, comme le suggère le titre, on finit toujours par revenir. Mais ce retour n’a bien entendu rien de nostalgique, il coïncide plutôt avec cet éternel retour de l’instant que l’on pourrait appeler le bonheur en acte. Le bonheur ? Alors que les bombes pleuvent, que les étudiants entament des grèves de la faim, que les ploutocrates s’enrichissent, que la langue se délie à la vitesse d’une bombe à neutrons. Le bonheur ? Moins un retour, peut-être, qu’un éternel départ, dans l’affection et le bruit neufs, comme le clamait le poète des Illuminations auquel ce roman fait bien souvent penser.

 

Vincent Roy, Retour à Kensington, éditions Le Cherche Midi

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