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Blog littéraire.


Comme si ma vie était une histoire

Publié par olivier rachet sur 20 Septembre 2018, 16:58pm

    « Ça ressemble à un film », dit l’un des personnages du roman jouissivement indécidable de Peter Stamm, La Douce Indifférence du monde. Le narrateur du livre rencontre une jeune femme prénommée Lena, qui lui rappelle une femme qu’il a aimée 16 ans auparavant, Magdalena. Se sont-ils déjà rencontrés, comme le soutenait déjà le héros de L’Année dernière à Marienbad au personnage incarné par Delphine Seyrig ou se seraient-ils déjà aimés, comme le croit ce romancier n’ayant publié qu’un roman dont il ne reste aucune trace ? Et c’est alors toute l’intrigue de Vertigo qui nous revient en mémoire. Il est vrai que tout semble indiquer, dans une narration savamment perverse, que les personnages seraient des doubles les uns des autres ; le narrateur allant jusqu’à se demander s’il ne serait pas lui-même un double, « maillon d’une chaîne infinie de vies toutes identiques, qui s’étirait à travers l’histoire. » On pourrait croire que ce savant jeu de miroirs et de mises en abyme ne constitue qu’une réflexion ingénieuse sur le pouvoir autotélique de la littérature romanesque. Mais ce serait compter sans ces cailloux qui viennent faire dérailler le récit : le présent ne répète jamais à l’identique le passé. Il n’est pas d’éternel retour, quand bien même la fin de l’histoire nous serait déjà connue : « Ce sont les erreurs, les asymétries qui rendent notre vie possible d’une façon générale », soutient d’ailleurs habilement le narrateur.

   Au centre du récit, une blessure. La séparation d’avec Magdalena. Irréversible et conduisant à se demander si, contrairement à ce que pensait Pessoa, la vie elle-même n’est pas le signe que la littérature ne suffit pas. « Je pense à ma vie qui n’est pas encore advenue », songe le narrateur s’interrogeant sur les possibles littéraires qui s’offrent à tout romancier, mais tout aussi bien l’auteur lui-même dont l’existence pourrait sans cesse être relancée, fût-ce d’ailleurs en abandonnant tout projet d’écriture. Lecture jubilatoire d’un roman qui rêve d’en finir avec l’intrigue, tout en sachant qu’il est toujours trop tard pour recommencer une vie qui toujours nous échappe : « Il était trop tard, trop tard pour le bonheur », constate-t-on désabusé. Et c’est peut-être, comme dans La Jetée de Chris Marker auquel ce roman fait souvent penser, au musée d’histoire naturelle que tout se joue finalement : « Vous avez l’air d’aimer les animaux morts, dis-je. Je n’ai jamais réfléchi à ça. Mais c’est peut-être vrai. Ils ont quelque chose de familier. Et ils ne mordent pas. » Les personnages que nous inventons, les fictions que nous nous évertuons à construire sont, eux aussi, déjà morts, mais toujours renaissants. Après tout, il suffit de relire tous les bons romans, avant de se trouver sur le point de faire le dernier couac !

Peter Stamm, La Douce Indifférence du monde, éditions Christian Bourgois.

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