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Blog littéraire.


Quitter le monde

Publié par olivier rachet sur 11 Février 2018, 21:48pm

   La mort n’est rien, semble nous murmurer, avec une émotion toujours plus grande, François Cheng, dans les derniers poèmes qu’il vient de publier. Ou tout du moins, la mort n’est pas l’image que l’on s’en fait. Inutile de dramatiser, de louvoyer ; on reconnaît la mort à la beauté d’un nuage ou d’une pousse de bambou. Nombreux sont les peintres chinois à l’avoir esquissé, en des traits singuliers, d’une grande assurance. Et pourtant, ces quatrains de François Cheng nous déchirent, quand bien même le poète nous guérirait de ce mensonge qu’est la finitude :

« Nous ne te suivrons pas jusqu’au bout, ô chemin ! / Le soir nous tient auprès du feu couleur de vigne. / L’horizon des oiseaux migrateurs est trop loin, / Vers l’ouest, nous irons, où un lac a fait signe. »

    Il n’est pas donné à tout le monde de faire l’expérience, ô combien tragique, de l’infini. L’éternité est à portée de main. Elle éclaire comme un rayon de soleil, une épiphanie ; puis, elle disparaît. On peut passer sa vie à se contenter des plaisirs du jour, on peut aussi s’égarer dans des quêtes spirituelles sans fin. Combien est plus difficile d’épouser cette ambivalence insaisissable du réel que les peintres et poètes taoïstes ont toujours cherché à représenter à travers une alternance motrice entre des principes cosmologiques et sexuels en perpétuelle transformation. Percevoir que le masculin se prolonge dans le féminin, que le vide est un plein à peine déguisé ; entendre le silence du soleil couchant donner naissance à la lumière. Ces expériences infimes seules donnent accès à cette éternité que la mort nous fera rejoindre :

« Ce fut malheur quand fut perdu pour nous la paix de la finitude ; / Notre chair close se vit transpercée par l’épée de l’infini. »

   Dans un ouvrage précédent, François Cheng s’interrogeait sur ce qu’il restait de l’âme, à une époque ayant fait du corps et de l’esprit l’alpha et l’oméga de toute connaissance de l’homme. Dans ce dernier recueil, il se demande ce qui de la vie pourrait être sauvé. Le taoïsme résonne parfois comme un stoïcisme lorsque le poète nous invite à « [consentir] à la brisure », mais il s’en éloigne en opposant à une éthique de l’endurance, une esthétique de la contemplation. Ce n’est pas que tout fait signe vers un lointain au-delà à jamais perdu – le titre du recueil Enfin le royaume fait moins entendre un soulagement qu’il ne ponctue une vie pleinement vécue – au contraire, les signes se présentent comme des énigmes n’ayant nullement besoin d’être déchiffrées. Les feuilles de prunus sont là, les tiges de bambou aussi. Regarder, toucher, écouter, sentir, goûter, comme seul credo :

« Nuage un instant apprivoisé, / Tu nous délivres de notre exil. »

[...]

« La lumière n’est belle qu’incarnée, à travers / Un vitrail ou le verre d’une bouteille de vin... / Consentons donc au sort d’être un œil fini / Qui se fait reflet de l’Éclat infini. »

    Au final, une vie s’achève et recommence son parcours dans une éthique qui n’est autre que celle du don, dans son absolue gratuité. Dans sa douloureuse solitude. Pourquoi donc des poètes en temps de détresse ? Pour écouter un autre chant, en contrepoint de toutes les injonctions méprisantes et hypocrites de toutes les femmes et de tous les hommes de pouvoir :

« Qui accueille s’enrichit, qui exclut s’appauvrit. / Qui élève s’élève, qui abaisse s’abaisse. / Qui oublie se délie, qui se souvient advient. »

François Cheng, Enfin le royaume, quatrains, éditions Gallimard.

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