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Blog littéraire.


Une stupéfiante clarté

Publié par olivier rachet sur 10 Mai 2018, 08:17am

   Au dos de l’un de ses tableaux, la peintre Ceija Stojka écrit, à propos des alliés ayant libéré le camp de Bergen-Belsen : « ils nous ont fait cadeau de la lumière ». S’il était devenu impératif pour cette artiste rom de se mettre à peindre cet évènement irreprésentable que constitue la Shoah, alors que se perpétuait dans les années 90, à Srebrenica, le massacre de musulmans bosniaques par l’armée serbe ; l’auteur israélien Aharon Appelfeld, mort en janvier dernier, a tenu tête, toute sa vie durant, à cette tragédie de l’Histoire. De roman en roman, cet immense écrivain questionne, à travers des fictions toujours renaissantes, ce moment fondateur de la libération par les Russes des camps de concentration, l’ayant conduit à s’enfuir d’Ukraine pour s’installer, des années plus tard, en Israël, où il apprendra l’hébreu, abandonnant sa langue natale, sans abandonner la mémoire des siens, l’âme et la culture qu’il n’aura jamais cessé de porter en lui. L’un des personnages rencontrés par le héros de son dernier roman posthume, Des jours d’une stupéfiante clarté, le résume en une phrase bouleversante : « On peut assassiner les corps mais pas l’âme, voilà ce que nous avons appris dans les camps. »

   Le protagoniste du roman se prénomme Theo Kornfeld. Après avoir contracté le typhus, à l’intérieur du camp de concentration dans lequel il fut emprisonné, il décide, alors que se prépare dans une précipitation panique la retraite de l’armée nazie, de faire faux bond à ses camarades du camp ayant su prendre soin de lui lorsqu’il était à l’article de la mort. Il fuit, à en perdre haleine, en direction de la ville autrichienne de Sternberg d’où il est originaire. Il rencontre une vieille femme prénommée Madeleine qui dit avoir bien connu son père, ancien libraire ayant dû renoncer à son commerce pour vendre des fleurs. Il pense être, en permanence, traqué par une horde d’anciens prisonniers avec lesquels il aura en chemin une altercation. Mais au fur et à mesure que son exil le conduit vers un retour de plus en plus improbable au pays natal, les souvenirs affluent en lui. Et notamment, celui d’une mère éprise d’absolu et de liberté ; juive hantant les monastères et les lieux de prière chrétiens ayant su représenter, notamment en peinture, les sacrifices les plus sublimes. Une mère que son fils entend un jour murmurer à propos du compositeur allemand : « Bach est mon Dieu. Il est né dans la divinité. » Une mère enlevant le plus souvent son fils de l’école pour l’entraîner dans ses périples désespérés que seule la neige pourra freiner : « On ne peut pas se permettre, disait-elle à son mari, de rater une belle vision que l’instant nous offre. »

   Aharon Appelfeld excelle à décrire la perpétuelle quête renaissante de la lumière que viennent ternir les dernières obscurités de la nuit. Primo Levi, le premier, avait montré qu’aucun mot n’arriverait à décrire l’horreur des camps de concentration. C’est de cette impossibilité même que s’honore tout le travail cinématographique de Claude Lanzmann. Mais il y a plus. Le romancier excelle surtout à rendre indistincts les états de conscience et les moments de rêve au cours desquels le protagoniste prolonge les discussions ininterrompues qu’il a pu avoir avec ses parents ou ses compagnons d’infortune. La page d’écriture devient le palimpseste d’une mémoire impossible sur laquelle s’écrivent les souvenirs recomposés. Peut-être ne disposons-nous au final que du bénéfice de deux vies : celle d’un corps, meurtri le plus souvent, voué à disparaître – à l’image du corps blessé de Madeleine dont les plaies semblent irréparables – ; celle d’une âme, errante et vagabonde. Immortelle.

Aharon Appelfeld, Des jours d’une stupéfiante clarté, éditions de l’Olivier, traduit de l’hébreu par Valérie Zenatti.

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