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Blog littéraire.


La révolution permanente

Publié par olivier rachet sur 3 Novembre 2018, 17:11pm

   Il se pourrait bien que Barcelone soit l’un de ces foyers incandescents, véritable buisson ardent, d’où il soit loisible de vivre pleinement, c’est-à-dire librement, sa vie. Le narrateur de ces chroniques barcelonaises qui s’étalent sur une dizaine d’années y pose ses valises et dérive en compagnie de personnalités des plus réjouissantes. On y croise des femmes qui auraient fait se pâmer Baudelaire tant leur œil par la franchise étonne ; à l’image de « Flora : “Me encanta emborracharme de dia” (“J’aime me soûler en plein jour”). » Des compagnons de débauche et de beuverie, des prostituées africaines grandes victimes de réseaux esclavagistes. Mais on y croise surtout des figures devenues légendaires : de Picasso à Orwell, en passant par Bataille dont Le Bleu du ciel se déroule en grande partie dans ce mythique Barrio Chino où le peintre originaire de Malaga esquisse à coups de traits tempétueux le portrait des futures Demoiselles d’Avignon.

    Barcelone bat au rythme de la révolution, pas de celles qui avortent ou trépignent de vouloir trop mimer des accès de fureur érigés en mythes progressistes ; son pouls bat au cœur même de la vie. Est-ce parce que la ville est au carrefour de l’Histoire et des civilisations qui la traversent, comme autant d’éclairs ou de spasmes, qu’elle incarne le mieux ce désir d’affranchissement autorisant de renverser toutes les tables de la Loi, de transmuer toutes les valeurs ? Genet ne s’y était pas trompé, lui qui erra un temps dans les bas-fonds de la ville, comme en témoigne Journal du voleur, pour en rapporter une constellation magnifique de figures plus étincelantes les unes que les autres. Barcelone aura connu les invasions romaines, germaniques, musulmanes : « Il ne reste d’indices de la présence arabe à Barcelone sinon dans sa toponymie : le quartier “Raval” vient de rabád, l’espace en marge de la ville où l’on cultivait les terres : et la fameuse promenade “Rambla” dérive de ramlah, signifiant “sablonneux” ou “lieu par où passent les eaux”, car un ruisseau s’y écoulait vers la mer... ». Barcelone aura connu la guerre civile qu’en des pages éblouissantes Mathieu David décrit comme la réaction contre- révolutionnaire face à une tentative réussie de gestion communautaire. Les clichés ont la vie dure. On pensait que la pomme de discorde avait eu raison des dissensions entre anarchistes et communistes. Il n’en est rien. Lorsque les hommes et les femmes s’entendent pour diriger leur bonheur, entre eux, une contre- révolution réactionnaire est toujours en marche. Suivez mon regard !

   Au final, ces chroniques dessinent en creux un véritable art poétique aux résonances souvent rimbaldiennes. La liberté libre se conquiert plus qu’elle ne se décrète. Celui qui parcourut les champs de France brûlés par le conflit franco-prussien en savait quelque chose, lui qui n’eut de cesse, tel un bateau ivre, de s’affranchir de toutes les écoles – Parnassienne, Symboliste, Décadente, Romantique – et de toutes les familles – catholiques, artistiques, amoureuses –, pour laisser libre cours à ses vertiges. À son image, le narrateur de Barcelone brûle « se voyage », comme l’écrivait Julia Kristeva, se laissant porter par un démon intérieur qui ne peut être que celui de la littérature : « Au premier chant de Noël, j’ai viré plein nord à destination d’Amsterdam. J’y vécus chez une Ashkénaze dans un grenier fabuleux. Au réveil, la chevelure pléthorique aux accents rieurs, je contemplais sur une plage de Corfou une orange embraser l’immobilité bleue. Je m’éternisais. »

Mathieu David, Barcelone brûle, éditions Gallimard, Collection « L’Infini ».

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