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Blog littéraire.


Choisir l’Éden

Publié par olivier rachet sur 6 Août 2023, 09:04am

Sans doute la douleur et le deuil sont-ils cette « expérience fondamentale de l’être » dont parle Claude Minière dans son dernier recueil de poèmes intitulé sobrement Consolation. Expérience qui fonde, pour paraphraser Hölderlin, ce qui demeure, à savoir justement le poème ou quelque forme que ce soit. Expérience universelle, c’est- à-dire au sens propre catholique, celle de la Passion du Christ sur laquelle s’ouvre le livre : « Mathieu avait monté pour le dire / parmi les oliviers ». Expérience enfin de la dépossession et de la perte dont on peut éprouver chaque jour la prégnance s’il reste encore en soi quelque sens de l’observation ou un soupçon d’empathie : « Et ceux assis sur un remblai / leur maison effondrée. / Ils restent un temps / et partent ». C’est l’histoire de l’écriture, et tout aussi bien des Écritures saintes, de la résurrection de la douleur et du deuil dans un Verbe qui traverserait l’aventure de l’incarnation. Il ne s’agit pas seulement de vivre, semble nous suggérer le poète, mais d’épuiser en soi toutes les formes de souffrance et de joies, de mettre à l’épreuve chacune de ses certitudes, de laisser planer un doute comme perdure parfois un souffle après un baiser ou un dernier râle : « ils allaient jusqu’au bout du rouleau / nous avons gagné et perdu à tourner la page ». L’expression de ce qui fonde alors la consolation n’est pas synonyme d’épanchement lyrique ou de conquête épique. Nul apitoiement pathétique n’est ici de rigueur. Tout aussi bien, il n’est à tirer nul enseignement de cet Enfer pavé souvent de mauvaises intentions. La malveillance guette : être aux aguets. Pour le poète, il s’agit plutôt de rechercher la tournure idoine, de tendre son arc ou sa lyre, fermement : « Tendre est la nuit ? Elle est molle, / j’aime ce qui est sec, / les blés, le couteau, la fin du vers ». Pour chacun d’entre nous, l’expérience ultime ne consiste-t-elle pas d’être à la hauteur de l’évènement, ou disons plutôt à l’écoute de cette vision impossible qui la fonde, de cet accident impensable qui voit la terre s’écrouler sous ses pieds, les cieux se fissurer en éclairs ; la disparition advenir dans sa trop longue attente tranquille : « l’orage, écrit Minière, est une promesse / d’éclaircissements », « le ciel qui se déchire / dans sa sidération ». Comme toute grande poésie, Consolation contient en son sein son propre art poétique, non sa recette ni ses conseils avisés à un jeune poète trop impatient d’en découdre avec l’anonymat que requiert toujours la création. Le poète, à l’image des maîtres calligraphes chinois, trace plutôt une voie, esquisse un chemin dont il serait erroné de penser qu’il constituerait une simple ligne droite. Le régime de la création alterne sans doute mouvements ascendants et descendants. Il virevolte, s’enfuit dès qu’on l’approche de trop près. Il est animal, sauvage ; excessivement proche et pourtant déjà lointain. « Écarter le bruit des flots ainsi le poète / chinois désigne sa haute consolation ; / il a une méthode, il regarde l’alouette ». L’expérience d’écriture est à l’image de la vie : transformation incessante, métamorphose de l’autre en soi et de soi en chacun. « La consolation vient d’un coup, écrit Minière / le ciel noir s’ouvre la mer s’apaise / plus rien ne pèse, ou lentement / on devient chou genou hibou / ouvert fermé le même transformé ». Est-il plus belle définition de la lecture ou de la contemplation ? On devrait vivre dans cette lente éclosion de la nuit en soi, à l’image du papillon : « tu reprends ta respiration / tu cherches une forme comme le papillon ». Cette « allumette volante » dont parlait déjà Ponge pourrait être ce point lumineux dans l’univers perdu, cette luciole dont la disparition hantait parfois Pasolini. Un pari que face à la mort qui guette, une promesse de bonheur gît toujours : « on choisit l’Éden, on ne sait pas encore / que l’on est nu, on voit les fleurs ». Et c’est sur des noms de fleurs que se clôt un recueil dont la beauté est de s’ouvrir sur l’infini. Sublime.

 

Claude Minière, Consolation, éditions Gallimard

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