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Blog littéraire.


Beauté du saccage

Publié par olivier rachet sur 3 Octobre 2023, 08:43am

   Et si les véritables filiations n’étaient que symboliques ? Si, en dehors du cycle monstrueux des naissances et des destructions qui leur sont corollaires, d’autres engendrements tentaient d’échapper à l’emprise du néant ? Si le rôle des familles ne se réduisait pas au final à programmer notre évacuation tous azimuts de ce monde et qu’il existait une autre façon de résister à ce génocide perpétuel que l’espèce humaine a toujours organisé contre elle-même depuis son origine ? Tel est le point de départ de Florbelle, le dernier livre de Jacques Cauda – ce peintrécrivain adepte de la Surfiguration –, qui prend appui sur un fait peu connu : la destruction par le fils du marquis de Sade d’un manuscrit qui donne son titre à un ouvrage comportant plusieurs illustrations à l’encre de l’auteur, comme un défi lancé à la rage vengeresse des fils contre leur père.

   Le récit s’organise, à l’instar des 120 journées de Sodome, en différentes journées à partir desquelles Cauda confronte sa propre existence à l’enfermement connu par Sade ; connu beaucoup plus que subi car il est une connaissance de la privation et du manque beaucoup plus riche d’enseignement qu’on ne l’imagine. Des échos se tissent donc, compte-tenu notamment du fait que l’atelier du peintre est bâti sur une ancienne propriété de la famille Sade. Mais au-delà de cette coïncidence, c’est bien de l’œuvre infernale et monstrueuse du divin marquis dont il est ici question. L’enfer se doit d’être montré sans fioritures, là où le Paradis, que nous écrirons avec une majestueuse majuscule, est fait pour être chanté, célébré, joui. Des écrits de Sade, on choisit de les ignorer ou d’en porter en soi le feu, l’abîme : « Entré au château de Silling à 17 ans, écrit Cauda, je n’en suis jamais sorti. Au contraire d’Annie Le Brun qui affirme en être revenue (malade), parce que troublée au plus profond d’elle-même, j’y ai tout de suite reconnu mon chez moi, autrement dit ma cage où, animal de la ménagerie de Vincennes, comme Sade l’écrit à sa femme, j’ai pris mon élan, un jour de juillet 1955. »

   Entre des lignes sulfureuses, Cauda nous offre une relecture critique toujours salutaire de la prose sadienne, qui, seule parmi toutes les proses, ose défier les lois de la représentation, comme l’ont tour à tour compris Bataille ou Sollers auxquels l’auteur rend hommage : « Bataille a relevé que la composition des Cent Vingt Journées de Sodome est exactement contemporaine de l’inflammation oculaire qui fait souffrir Donatien et le restreint à l’imagination. Prison dans la prison. » De son côté, Sollers explique dans Sade et le temps l’impossibilité de se représenter l’enfer sadien, tout comme il est inimaginable de visualiser celui de Dante auquel Cauda a eu l’audace pourtant de s’affronter dans des peintures qui restent, à mes yeux, parmi ses plus électrisantes : « Ici, c’est la radicale impossibilité de représenter l’œuvre de Sade qui vient inquiéter au maximum notre fin de siècle dans sa certitude de contrôler économiquement toutes les représentations. » Le spectacle peut continuer de nous endormir sur ses deux oreilles et l’enfer continuer de tourner sa roue de supplice : leur complicité est éternelle.

   Entièrement composé pendant la farce du confinement, Florbelle célèbre a contrario de notre époque rabougrie, incapable de méditer la solitude de l’homme sans dieu dans une chambre privée, les vertus de l’enfermement, c’est-à-dire de la réflexion concentrée, de la jouissance ni entravée ni différée. Au début de la dixième journée, l’auteur écrit : « La neige a fondu. Nous sommes fin janvier 2021. La Covid rôde (mais faut-il utiliser vraiment le féminin imposé par les médias et le gouvernement du vide, cher Cauda ?). Quel délice ! amour et Sade. J’attends le confinement n°3 avec indifférence ; l’emprisonnement volontaire est déjà mon royaume ! »

   Au final, cet ouvrage, comme la plupart de ceux de son auteur, est une ode à la dépense improductive, à l’éjaculation faite peinture ou à l’encre de Chine. En témoignent les nombreux poèmes qui parsèment ce livre inclassable, comme autant d’explosions florales moins mortuaires qu’il n’y paraît ; et ce n’est pas fleur de rhétorique ce que j’écris : « Toutes ces fleurs en habit de lumière dans ma bouche. [...] Dehors la vie se vide / Les gens passent rue de / Bagnolet / Avec une innocence / Dans le regard / Qui les confond / Un rien sonne au réveil / Mais follement plus loin »

   Ce réveil n’est-il pas celui de la poésie (pas celle des livres ni celle des libraires), celle de la vérité pratique toujours en marche. Sur ce, sur les bons conseils de l’auteur, je vais rejoindre mes amours, mes semences...

 

Jacques Cauda, Florbelle, éditions Tinbad

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