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Blog littéraire.


Le bitume avec une plume

Publié par olivier rachet sur 27 Novembre 2024, 19:18pm

Des poèmes sans poésie. Voilà comment le rappeur Booba décrit ses textes, ses lyrics : « Mes lyrics te font pleurer / J’ai la rime lacrymogène ». Publier les meilleures punchlines de Booba que l’écrivain Thomas A. Ravier assimile dans sa préface à « un libelle sur le beat, une maxime en Air Max, une raillerie de caillera », c’est donner à voir et à entendre une voix sans concession dans l’univers du rap, mais disons-le aussi dans celui de la poésie contemporaine. Aucune concession à l’égard de la race, du sexe et de la violence du déterminisme social que le poète retourne, comme il se doit, dans tous les sens. Si les théories racialistes n’ont plus vraiment le vent en poupe, la race est dans toutes les têtes et pour Élie Yaffa, alias Booba, qui tire donc son nom de scène d’un prophète venu tout droit des Hauts-de-Seine, la négritude se porte sur le visage et sur le corps comme un stigmate de l’Histoire. Il n’est pas ici question de repentance, mais d’une clairvoyance (on aimerait écrire noirvoyance) historique : « Un Noir pendu dans ma rétine. / Du sang d’esclave sur ma tétine », « Train de vie très noir, / donc sombre mélodie », « J’te traite comme / négro dans plantation. / quatre cents ans d’fouet, / t’as pas r’tenu la leçon », « T’as aimé sucer, / j’ai aimé Césaire ». Être noir à fond de cale, c’est commencer par raconter l’histoire où elle a commencé : « Quatre cents ans c’est trop long : c’est pas la mer qui prend l’homme, c’est Christophe Colomb ».

Aucune concession ne sera faite à l’égard du déterminisme social et de la violence de classe qui l’accompagne toujours. La langue française est pour Booba, comme pour Kateb Yacine, un butin de guerre. C’est la langue de Césaire, de Genet, mais aussi des chansons pour enfants de Chantal Goya et des cartoons dont le rappeur tire son nom d’ours mal léché. C’est la langue des bannis, mais aussi des « bananes », de ceux qui se font toujours avoir et de ceux qui l’ont grosse entre les jambes. « Je suis vulgaire / les bourges en chopent des ulcères ». Le français, sous la plume de Booba, c’est cette lame tranchante comme un rasoir que l’on fera néanmoins jouir pour mettre en scène le parcours d’un combattant, une histoire d’ascension et de résurrection de chaque jour, ne tenant qu’à un fil ; et peu importe que les réseaux sociaux viennent relayer cette success-story puisqu’au final, c’est le style qui est gagnant. Dans des accents que ne renierait pas le plasticien Kader Attia, Booba écrit dans « Soldats » : « C’est dans l’béton qu’on pousse, / c’est à Fleury qu’on fane ». Dans un humour à la Dutronc / Lanzmann, il écrit dans « Pourvu qu’elles m’aiment » : « Gangster et gentleman, / c’est dans le mille que / je tire. Je fais mal mais / je fais jouir, si tu vois / c’que j’veux dire ». Racine n’est pas loin, Ravier a mille fois raison, quand le ciel est convoqué : « Le ciel sait / que l’on saigne / sous nos cagoules ». Le rap, Ravier encore, vient en droite ligne de Shakespeare, et l’on ne peut que s’étonner du rapt accompli par ces Français de branche et de souche qui font jouir la langue maternelle comme une pute !

Beaucoup pensaient qu’à l’école, la greffe ne prendrait pas, et plusieurs morceaux en témoignent. Rien ne m’a jamais paru plus pathétique que cet humanisme béat des enseignants, notamment de français, décuplant leurs efforts pour faire sortir le « Noir » ou le « Beur » du ghetto. Booba sait, après Genet, qu’on ne sort jamais de prison, fût-ce d’un centre disciplinaire, d’une famille d’accueil ou de Fleury-Mérogis. Seule la langue permet de niquer sa race et de niquer la vie. Encore faut-il s’entendre sur ce champ lexical fleuri qui n’épargne pratiquement aucun morceau. Le sexe est ce soleil autour duquel tourne l’ensemble des planètes, aussi bien féminines que masculines, et sans doute aussi des transgenres. On songe, en écoutant et en lisant Booba, à cet évangile romanesque de Calaferte, Septentrion, débutant par un « Au commencement était le sexe » que le duc de Boulogne ne renierait pas. Or le sexe, tout comme l’encre qui coule dans les veines, est ce qui bat au cœur de la vie et du plus petit désir qui soit d’ascension sociale ; là-dessus tout le monde ment. Qui refuse d’entendre qu’il s’agit toujours plus ou moins de savoir qui « se fait baiser » et par qui, est d’une hypocrisie crasse. Booba dit le sexe, comme Céline avant lui, dans toute la crudité de son symbolisme :

« J’ai envie d’poster / ma queue, sodomiser tous / les réseaux sociaux », « Si ils disent / que j’ai touché le fond, / c’est qu’une chatte / a témoigné », « Pour monter au / septième ciel, dois-je / baiser une hôtesse / de l’air ?, « J’les baise comme / des chiennes, à chaque fois / elles reviennent ». Inaudible ? Peut-être moins que cette séquence à la théâtralité corrosive : « Elle m’a dit : ‘J’suce, j’fais le ménage, / j’suis jamais chiante’. / Ton Uber est déjà / dehors, tu t’es crue. / Dans les années 30 ? »

Pour finir, on pourrait avancer que Booba est un diamantaire doublé d’un moraliste. Diamantaire dans cette faculté alchimique de transformer, dans la lignée des plus grands poètes, la boue en or comme en témoigne toute une série d’images qui nous font aller, pour reprendre de nouveau Thomas A. Ravier, « de choc visuel en scoop rétinien » : « Enfance insalubre, / comme un fœtus / avec un calibre », « Fais pas ton nid / sur la branche / d’un aigle », « O.9 dans la peau, / les colombes sortent / de mon chapeau », « Chez nous, / on dort plus, / chez nous / le marchand / d’sable sniffe / de la coke ». Moraliste, dans la pure tradition du 17e et du 18e, celle de l’épigramme dans laquelle Booba excelle, après Chamfort ou la Rochefoucauld dont Nietzsche disait qu’ils tiraient « dans le noir, mais dans le noir de la nature humaine ». Sauf qu’ici le Noir est indétrônable, il brille en pleine lumière. Il est roi : Booba.

 

Booba, Le bitume avec une plume, éditions Hoëbeke, préface Thomas A. Ravier

Crédit photo : Médaille à l'effigie de Booba par Mohamed Bourouissa, Monnaie de Paris, 2012

Crédit photo : Médaille à l'effigie de Booba par Mohamed Bourouissa, Monnaie de Paris, 2012

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