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Blog littéraire.


Le Cosmos et la Vie

Publié par olivier rachet sur 26 Mars 2025, 13:13pm

Ce qui frappe avec François Cheng est qu’il semble avoir toujours été à l’orée de la vie. Poète reconnu, essayiste, académicien devenu immortel, l’auteur de L’écriture poétique chinoise et de Vide et Plein, Le langage pictural chinois, reste sensible aux phénomènes de la Nature et à leur incessante transformation. Dans son dernier recueil, Une nuit au cap de la Chèvre, il relate son arrivée dans une maison que lui prête une fidèle lectrice, aux confins de la Bretagne, dans le Finistère. Nous sommes, comme l’indique le nom du département, là où la terre se finit pour plonger dans l’océan. Mais loin de s’effrayer de la solitude qui lui échoit et du « silence éternel de ces espaces infinis » dont parlait Pascal, François Cheng perçoit l’interaction qui meut le cosmos et les étoiles, la mer et le ciel, la terre et la lune : « Je prends conscience de l’ampleur cosmique du phénomène auquel j’assiste : le mouvement des marées, loin d’être celui d’un fauve en furie, obéit à une cadence bien définie. Il est fait de flux et de reflux, d’une poussée en avant suivie d’un retournement sur soi, le tout régi par la formidable loi de l’attraction universelle. La lune attire, la terre elle-même aussi ».

À travers la peinture et la poésie, l’auteur aura passé ainsi sa vie à méditer, non la leçon ou les enseignements, mais la pensée en acte du Tao. Cette Voie que Lao Tseu dit étroite, sans que l’on sache vraiment à quoi il se réfère. Or François Cheng éclaire cette proposition en distinguant deux modalités : l’une cosmique marquée par l’infini et l’autre vitale, par la finitude : « Une fois de plus me bouleverse l’énigmatique disproportion : si la Vie se déroule au sein du Cosmos, pourquoi une telle différence entre leurs manières d’être, d’un côté la vastitude, la permanence, de l’autre, la voie étroite, la durée éphémère. » Dès lors, la Mort n’est plus perçue comme une fin mais comme une possibilité d’ouverture : « la Mort est un Ouvert ; elle donne accès à la transformation ». Et la Vie, de son côté, se conçoit comme un don : « Nous sommes les héritiers à qui incombe le devoir d’assurer la marche de la Vie ».

Cette approche poétique et philosophique s’autorise parfois d’un détour par la science pour corroborer son intuition paradoxale d’un monde qui nous échappe autant qu’il s’offre à nous dans ce que Rimbaud définissait comme « une immense opulence inquestionnable » (« Solde » in Illuminations) : « Je me rappelle qu’Albert Einstein, quelque part, fait remarquer qu’étant donné sa forme sphérique, par la courbure de l’espace-temps, l’univers est infini mais pas illimité. Il peut connaître des expansions successives, mais il est toujours cerné ». À partir de cette acceptation de la vie jusque dans la mort, François Cheng retrouve à loisir le parcours chaotique que fut son existence. Il a huit ans lorsque le Japon lance ses attaques contre la Chine. Sa conscience du mal prend ici naissance : « Avant que l’année touche à sa fin, l’armée japonaise, parvenue à Nankin, la capitale du Sud, se livra à un massacre d’une cruauté inouïe. En quelques semaines, elle mit à mort trois cent mille personnes suivant les méthodes les plus atroces. Mon cœur, quand l’enfant que j’étais prit conscience de ce cataclysme, fut à jamais meurtri par le phénomène du Mal ». Il accompagne par la suite son père à Paris, où en tant qu’expert de l’éducation, celui-ci participe à la fondation de l’UNESCO. Puis, Cheng choisit de rester séjourner dans la capitale française et de se consacrer à la poésie.

La découverte qu’il fait alors de Rilke et d’autres poètes orphiques déploie en lui des ressources insoupçonnées qui donneront naissance aux essais, romans, recueils de poèmes et livres d’art que nous connaissons. Syncrétiste, la pensée de Cheng l’est à sa façon dans cette capacité à établir des ponts entre le taoïsme et l’orphisme, entre la Chine et la Grèce antique, en avance de plusieurs siècles sans doute sur son temps : « Le poète orphique, avançant sans cesse vers la profondeur du devenir humain, est un solitaire qui a pris en charge la multitude. Par son chant qui s’apparente à la prière reliant les vivants et les morts, il est en constant rapport avec la transcendance qui anime les êtres par le Souffle-vital ». En témoignent quelques vers somptueux qui concluent un ouvrage enchanteur :

« N’oublions pas nos morts ni notre propre mort : / C’est le devoir-mourir qui nous pousse vers l’élan. / De l’indicible au chant, notre voix est orphique, / Transmuant les absents en d’ardentes présences ».

La mort n’est rien ; la poésie la transforme en joyau silencieux et éternel.

 

François Cheng, Une nuit au cap de la Chèvre, éditions Albin Michel

Shitao, "La casacade de Mingxianquan et le Mont Hutouyan", rouleau vertical suspendu, encre et couleurs sur papier, Sumitomo Collection, Kyoto

Shitao, "La casacade de Mingxianquan et le Mont Hutouyan", rouleau vertical suspendu, encre et couleurs sur papier, Sumitomo Collection, Kyoto

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