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Blog littéraire.


Un carré parfait

Publié par olivier rachet sur 30 Mars 2025, 10:11am

On ne peut reprocher à Guillaume Basquin de ne jamais prendre date. Lorsqu’il publie en 2013 son premier essai, Fondu au noir (le film à l’heure de sa reproduction numérisée), il prend acte de la disparition tragique du cinématographe et de l’avènement du numérique. Dans son chant (L)ivre de papier, publié en 2016, il observe la poursuite de ce processus de déréalisation qui voue aux gémonies tous les livres de la bibliothèque. La perte de l’aura, déplorée en son temps par Walter Benjamin, et la disparition de tout processus analogique, le conduit à témoigner. Avec L’Histoire splendide, publiée en 2022, il acte l’avènement d’une Terreur sanitaire qui se prolonge désormais avec l’instauration sournoise de protocoles de contrôle visant autant les réseaux sociaux que corsetant les corps. Les maîtres mots, comme il est des maîtres-chiens, du monde qui vient sont : distanciation physique c'est-à-dire sociale, sans contact... Circulez, y aurait plus rien à voir ni à toucher ou goûter ? Pour toute réclamation, adressez-vous à la dernière IA conversationnelle en date : elle saura répondre à vos besoins les plus intimes ! Du balai, les hommes !

Tweet n°1, (classé) X que publient aujourd’hui les éditions Tinbad acte l’émergence d’un monde en voie de déshumanisation et de désintégration accélérée ; la continuation de la guerre mais par d’autres moyens : « seule la guerre permet de mobiliser la totalité des moyens techniques d’une époque » affirme ainsi Basquin, en avance sur son temps comme Thomas A. Ravier ou Giorgio Agamben ; et l’écriture revient dès lors à endosser le rôle de celui – prophète ou poète –, dont la raison d’être est de faire la guerre à la guerre. Car l’être est la raison et le non-être est la passion : ce pathos dont raffolent les médias et les prix littéraires. L'être est, le non-être n'est pas : bonjour Parménide ! Ou pour le dire avec les mots de Basquin : « la plupart des êtres vivants sur c’te planète globalisée vivent quelque chose à côté de ce qui est en train d’avoir lieu & sont dans un monde de dévastation de l’humanisme & de souveraineté de la Technique tout en gardant dans leur esprit des représentations qui datent du 19e siècle : c’est ce décalage-là qu’il s’agit de travailler il ne s’agit plus d’être saint Sébastien mais bien au contraire d’être cet élément de rapidité entre l’archer & la cible ». Un éloge de la vitesse, quand nos contemporains ne jurent que par la lenteur et la procrastination !

Comme en son temps Céline, dont l’invention stylistique des trois petits points de suspension – cette « petite musique » surnageant du chaos –, damait le pion aux bellicistes, la résistance aux idéologies passe pour Basquin par l’adoption d’un style et d’un dispositif textuel dont il emprunte en partie la forme au Nombres de Sollers. 10 tweets de 10 pages formant un carré parfait comme « Nombres et composé de 10x10 = 102 cent paragraphes ou plateauX numérotés de 1 à 100 carré magique ô mathématiques sévères ! »

Mais le tweet qui donne son titre au livre est ici un leurre, ou plutôt fait-il penser au MacGuffin hitchcockien : un motif destiné à faire diversion face à la toute-puissance policière de l’Histoire. Ce carré parfait laisse ainsi affleurer tous les livres de la bibliothèque, toutes les langues (impossible à traduire pour une Ignorance Artificielle qui découvrirait la plaie jouissive de Babel !), mais aussi tous les sons et les nouvelles harmonies, dans la pure tradition rimbaldienne. Par là-même, Basquin affirme l’ancrage dialectique de toute énonciation : « est dialectique non seulement le passage de la matière à la conscience mais aussi de la sensation à la pensée puis au langage [...] qui veut l’immobilité est un anti-matérialiste de base c’est-à-dire un idéaliste c’est-à-dire un religieuX en réalité il n’y a que des atomes & du vide & c’est de l’assemblage des atomes que naissent les qualités sensibles ». 

La dialectique consiste ici à opérer des montages d’énonciation, comme on opère à cœur ouvert, en citant tout aussi bien un tweet d’Elon Musk ou un bloc d’abîme du marquis de Sade ; le tout sans ponctuation apparente qui achève et tue le sens. La jouissance de lectures, toujours plurielles, s’en trouve ainsi décuplée ; la preuve par l'oreille : « ce n’est pas la vertu qui les lie virgule c’est le foutre point-virgule on plaît à celle qui bande pour nous virgule on devient l’amie de celle qui nous branle point oh Juliette point d’eXclamation qu’ils sont délicieuX les plaisirs de l’imagination ». De Sade, Basquin pastiche d’ailleurs, avec une rare virtuosité, le Dialogue entre un prêtre et un moribond. Au Révérend Père se substitue ici un « possédé », toujours à l’affût des thèses défendues par un « complotiste », forcément moribond à l’esprit de ceux qui ont renoncé de vivre ; oubliant au passage qu’à leur époque Galilée ou Copernic furent condamnés à mort pour avoir ourdi des thèses contraires à la doxa de l’Église : « le possédé bon des revues de critique littéraire me disent maintenant que vous seriez en sus devenu climato-sceptique que répondez-vous à cela le complotiste écoute la nouvelle orthodoXie climatique du GIEC se fonde sur de fausses prémisses un climat réglé n’a jamais eXisté ».

À ceux qui dégainent sur les réseaux sociaux de façon pavlovienne l’accusation inepte de « fascisme », Basquin répond par la définition qu’en donnait Bataille : « un mouvement excluant toute subversion ». Tweet n°1 ne célèbre-t-il pas, au final, les vertus de raison et d’observation qui étaient celles des Lumières ? Vertus cardinales auxquelles on ajoutera l’amour : Éros, Philia ou Agapê, peu importe ; ou pour le dire avec les mots de l’auteur à sa bien-aimée : « ma chérie qu’est-ce que tu préfères les pieds dans l’eau ou le feu partout ? » L’encre de l’écriture, assurément.

 

Guillaume Basquin, Tweet n°1, (classé) X, éditions Tinbad

Diane Arbus, "Child with a toy hand grenade in Central Park, N.Y.C", 1962, credit : Purchase, Jennifer and Joseph Duke Gift, 2001, Right : @The Estate of Diane Arbus

Diane Arbus, "Child with a toy hand grenade in Central Park, N.Y.C", 1962, credit : Purchase, Jennifer and Joseph Duke Gift, 2001, Right : @The Estate of Diane Arbus

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