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Blog littéraire.


La race humaine est servile

Publié par olivier rachet sur 13 Avril 2018, 17:25pm

   Nous sommes à la Nouvelle-Orléans, pendant l’entre deux- guerres. Une aristocrate, ayant épousé un paysan devenu propriétaire terrien, après la guerre de Sécession, organise une croisière sur son yacht, en compagnie du gratin artistique du moment. On y croise un sculpteur drapé dans les oripeaux de l’éternel féminin, des romanciers et des poètes traquant l’idéal, mais à l’instar du personnage de Talliaferro sur lequel s’ouvre ce roman peu connu de Faulkner, Moustiques, des êtres littéralement hantés par l’instinct sexuel : « Chez moi l’instinct sexuel, annonce ce personnage dès l’incipit, est particulièrement violent. »

  On voit alors s’orchestrer un ballet mécanique entre deux générations, où le puritanisme WASP est battu en brèche par la désinvolture avec laquelle de jeunes passagers entreprennent les plus âgés. Les années folles ou rugissantes – les Roaring Twenties – de l’autre côté de l’Atlantique sont pour Faulkner des années de décadence, ferment de bouleversements que l’auteur ose encore à peine imaginer. « La race est devenue stérile, soutient le romancier Dawson Fairchild : les femmes, trop masculines pour concevoir, les hommes trop féminins pour engendrer... »

   Constamment habité par les Saintes Écritures, Faulkner ne peut imaginer qu’un naufrage pour dire l’horreur que lui inspire une génération acculturée et insouciante. Le sentiment tragique du péché originel a été remplacé par une mollesse ignoble, que l’on vénère aujourd’hui sous le nom de bonheur consumériste ou de confort moral. « Il est intéressant, dit l’un des personnages nommé le Sémite, de réduire le progrès spirituel de la race à une migration émotive : des Israélites esthétiques traversant à pied sec une mer rose d’ennui et de sécurité [...] »

    Mais c’est bien plutôt du côté de Joyce et d’Ulysse que nous entraîne cette croisière accomplie sur un yacht appelé le Nausicaa, du nom de cette jeune fille envoyée par Athéna à la rencontre du héros de l’Odyssée pour le récompenser de ses exploits ou le détourner de son périple de retour. Allez savoir, les desseins des dieux nous resteront à jamais inconnus. L’existence est une énigme que l’on ne devrait traverser qu’en tremblant ; tous les sens à l’affût des opportunités folles qui parfois s’offrent à nous. Faulkner n’est pas un moraliste, mais à l’image de Melville, incarne l’inquiétude métaphysique dans ce qu’elle a de plus terrifiant. Si un dieu venait vraiment à nous manquer ou à nous dévorer, quel sens donnerions- nous à notre passage sur terre ? « C’est cela qui fait les puritains, reconnaît le Sémite. Nous n’aimons pas voir violer impunément les lois que nous avons-nous-mêmes observées autrefois. Dieu sait que le Ciel est une maigre récompense pour une vie d’abnégation. »

   La grande question qui se pose alors à Faulkner, dans ce roman datant de 1927, mais publié en France en 1948, un des tous premiers de l’auteur, est alors celle de l’Art dont il perçoit qu’il est en train de devenir, au mieux un objet de réconfort inutile, au pire un simple objet de consommation parmi d’autres : « Cela me choque toujours, affirme Mrs Wiseman, de constater que l’art dépend aussi de la population, de l’instinct grégaire tout autant que de la fabrication des automobiles ou des bas... » La même, assimilant quelques pages plus loin, le compositeur Chopin à « de la neige pourrissant sous la lune. »

   Le dernier mot, revenant sans doute à ce double de Faulkner incarné par le romancier Fairchild dont l’implacable sentence est retournée comme un gant par le Sémite :

« La chose imprimée. Ce qu’on écrit paraît si différent, une fois imprimé. Les caractères d’imprimerie prêtent une espèce d’autorité impersonnelle, même à la stupidité.

– Vous le dites à l’envers, rétorqua l’autre : la stupidité prête une espèce d’autorité impersonnelle, même à la chose imprimée. »

   Quand le vrai, déjà, devenait un moment du faux. Nous sommes à la Nouvelle-Orléans, c’est-à-dire, ici et aujourd’hui.

      Faulkner, Moustiques, 1927, éditions Gallimard.

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