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Blog littéraire.


Un pied dans la tombe

Publié par olivier rachet sur 8 Avril 2018, 18:00pm

   L’écriture ou la vie. Bukowski n’était pas du genre à choisir l’une ou l’autre, trop conscient qu’il était de leur profonde irréconciliabilité. L’écriture et la vie. L’une devant chercher à intégrer l’autre, sans fioritures ni effets de manche. « Tu sais, écrit-il à l’éditeur ayant publié un ouvrage critique qui lui était consacré, le gros problème, jusqu’à présent, c’est qu’il y a toujours eu d’énormes différences entre la littérature et la vie, et ceux qui font de la littérature n’ont pas intégré la vie à leurs textes, et ceux qui sont pleinement dans la vie se sentent exclus de la littérature. »

   La correspondance sélective publiée par Au Diable Vauvert se focalise sur les nombreuses lettres envoyées, tout au long de sa vie, aux éditeurs, écrivains ou amis, dans lesquelles les questions de la création et de l’écriture sont abordées. Né en 1920, en Allemagne, l’écrivain américain aura traversé le XXe siècle en combattant intrépide et aura connu, à l’image de Céline qu’il admirait, toutes les vicissitudes humaines, les merdes quotidiennes de qui doit lutter pour gagner sa croûte. Pour raconter une vie, le romanesque n’est pas de mise. Des notations suffisent : « J’ai travaillé dans des abattoirs, écrit-il le 1er mai 1964 à Jack Conroy, j’ai fait la plonge ; ai travaillé dans une fabrique d’éclairage fluorescent ; collé des affiches dans le métro de New York, récuré des wagons de marchandise et nettoyé des trains de voyageurs dans des chantiers de chemins de fer ; j’ai été manutentionnaire, expéditionnaire, facteur, clochard, pompiste, briseur de noix de coco dans une usine de gâteau, chauffeur de poids lourds, contremaître dans un entrepôt de distribution de livres, transporteur de bouteilles de sang et presseur de tubes en caoutchouc pour la Croix-Rouge ; lanceur de merde, parieur hippique, fou à lier, crétin, dieu, je peux pas me souvenir de tous (...). »

   Bukowski n’est pas seulement une exception ; il est aussi ce poète irréductible et irrécupérable déjouant les différentes impostures littéraires de son temps : celle de ces poètes avides de gloire et de reconnaissance, à l’image de son ami Henry Miller arrêtant d’écrire après avoir reçu la consécration ; celle de ses revues avant- gardistes pariant sur le bankable, mais surtout celle de ses contemporains beatniks ayant érigé leur marginalité sociale en argument commercial et transformé leurs prouesses techniques en idéal stylistique indépassable. Les amateurs de Burroughs en prendront pour leur grade, mais les cut up de l’auteur du Festin nu laissent Bukowski de marbre.

   Que vaut une littérature à laquelle on n’aurait pas été contraint chaque jour, à chaque moment ? Les dernières lettres de Bukowski ne sont pas seulement datées, mais l’auteur y mentionne l’heure à laquelle elles ont été écrites. Ce n’est pas vraiment que le temps presse – on feint d’oublier que l’on court à sa perte et que « nous ne sommes rien que des quilles de bowling », comme il écrit à Lafayette Young – mais le métier d’écrire, comme celui de vivre, est un jeu permanent avec la mort. « C’est seulement quand un homme se retrouve avec un flingue dans la bouche, écrit-il à Jon Webb, qu’il peut voir le monde entier dans sa tête. Tout le reste n’est que conjecture. » L’écriture trompe la mort, comme l’écrivain trempe son sexe dans le corps des femmes ou sa bouche dans un verre de bière. Ne croyez pas qu’il s’agisse ici d’une fontaine de jouvence, mais bien plutôt d’un affluent du Styx. Tout ici est enfer. L’écrivain seul a parfois les couilles d’en témoigner.

Charles Bukowski, Sur l’écriture, éditions Au Diable Vauvert.

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