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Blog littéraire.


Pas son genre

Publié par olivier rachet sur 6 Septembre 2021, 08:41am

   Simplifions ! C’est l’histoire d’un rapt que nous raconte Éric Marty dans son dernier essai Le sexe des Modernes, Pensée du Neutre et théorie du genre. Chaque mot a ici son importance. Celui de sexe tout d’abord ; affreux, rétrograde, sale pour beaucoup encore. Et peut-être moins pour les peine-à-jouir que pour les nouveaux théoriciens du genre, que vous pouvez orthographier si le cœur vous en dit en écriture inclusive – ce coup de force, pour ne pas dire de forçage, contre la langue, la grammaire et le système orthographique lui-même. Norme parmi les normes, il est vrai.

   Le sous-titre du livre met de son côté en balance deux moments critiques fondateurs de nos représentations ; l’un issu des penseurs que l’on nommera structuralistes ou poststructuralistes pour aller vite, de Foucault à Derrida, en pensant par Barthes et Lacan, l’autre incarné par la French Theory élaborée outre-Atlantique. Les premiers, et ce sont eux qui intéressent la pensée critique de Marty, n’ont eu de cesse de chercher à circonscrire, à partir notamment de la linguistique saussurienne, cet entre-deux séparant non seulement le signifié du signifiant, mais mesurant tout écart situé entre deux polarités arbitrairement définies. On peut l’appeler neutre ou degré zéro avec Barthes ou l’orthographier avec Derrida différance pour marquer la latence qui sépare toujours le réel de sa formulation, fût-elle d’ailleurs fictive. « Barthes, écrit par exemple l’auteur, définit le degré zéro comme le ‘terme neutre’ qui, dans le langage, s’ajoute aux éléments d’une polarité ou d’un paradigme. » Le concept de neutre induit sans doute la nuance, et consacre les mille et une nuits de l’inclination amoureuse et du désir.

   Là réside le trouble que suscite la figure du travesti qui intéresse aussi bien Barthes que Judith Butler, auteure de Trouble dans le genre à laquelle Marty reproche de « fonder le discours des gender, non sur la doxa politique des campus américains qui identifie pouvoir et répression, mais sur l’hypothèse foucaldienne d’une positivité des normes. » La figure du travesti consacrerait le triomphe du masque et du jeu, du faux-semblant et du simulacre chers à Genet, sur lesquels se fonderait la positivité même de la Loi, et in fine de sa transgression toujours possible. Là où la norme, dans toute la relativité qui est la sienne, incite moins à transgresser qu’à accroître la subversion tous azimuts des sens et des identités. « Du côté de Barthes : ‘Le travesti oriental ne copie pas la Femme, il la signifie.’ Du côté de Butler, le drag queen, par sa performance imitative, détruit la pseudo-naturalité du modèle – dit féminin – qu’il parodie : ‘on éclate de rire en réalisant que l’original était de tout temps une imitation’. » Sans doute est-il devenu aujourd’hui difficile de faire entendre que la Loi est arbitraire et fictive, mais que seule cette fiction autorise le psychisme et les corps à savourer les délices de l’imaginaire. « Le triomphe de l’imposture, loin d’être dénonciateur, précise Marty, est ce qui, se substituant à un ordre fondé sur la différence sexuelle, ouvre à un autre monde, un monde véritable, un monde qui échange, qui jouit, un monde fondé sur l’illusion comme loi. » Baroque indépassable de la prose de Genet à laquelle l’auteur rend hommage.

   Face à ce libertinage théorique, se construit donc outre-Atlantique une théorie du genre qui non seulement accapare des concepts qu’elle dénature, mais qui n’a de théorie que le nom, puisqu’on s’en rend compte chaque jour, celle-ci repose sur une positivité de la norme sociale et raciale toujours plus agressive. Là se trouve pour l’auteur le rapt inaugural, dans le fait de substituer à la Loi symbolique – attention, je vais écrire des horreurs : celle du Père, du Nom, du Phallus, attestant par exemple celle de l’interdit universel de l’inceste – la notion néo-libérale de norme dont s’enorgueillissent les gender studies. Stade ultime de la pensée néo-libérale américaine devenue planétaire, et envahissant l’esprit critique de la plupart des universités européennes (voir le Tract passionnant de Nathalie Heinich publié chez Gallimard, Ce que le militantisme fait à la recherche), consistant moins à faire trembler la notion de différenciation et d’inclinations sexuelles qu’à laisser proliférer des catégories toujours plus dogmatiques et essentialisantes repoussant ad nauseam les combinaisons de genre.

   Pour penser de nouveau cette catégorie du Neutre et déconstruire à son tour la théorie du genre devenue folle – dans une rivalité mimétique rapprochant les nouvelles prédicatrices des gender studies des travestis eux-mêmes dont Marty écrit que ce qu’ils mettent en jeu, « c’est le phallus tel qu’il manque à la femme et auquel elle s’identifie hystériquement par la mascarade, se faisant par là même phallus » –, l’auteur nous invite à repenser la notion de castration. Castration qui n’est ni tout à fait un complexe, encore moins un fantasme, mais un régime d’activité symbolique autour duquel gravitent les sexes. Ce à côté de quoi les gender studies passent, obnubilées qu’elles sont par une théorie de la domination racialiste, oubliant par là-même cette évidence formulée en son temps par Derrida, que la castration « ça bande » aussi !

   Au final que retenir de cet essai passionnant ? Qu’il y a peut-être moins une identité de genre qu’une identité des désirs dans tout leur pouvoir de désorganisation qui est le leur et qu’incarne à sa façon la figure du castrat dans l’opéra baroque. Aux antipodes du trans devenu cette figure iconique par laquelle beaucoup cherchent encore à échapper à la sexualité, persuadés qu’il existe « une identité sexuée du genre ». Ruse de l’histoire, « le genre, parce qu’il est le fruit d’une exigence individuelle, d’une volonté de genre, et non de la contingence, du hasard, de l’erreur, est ce qui restaure le sexe comme un artefact, un hyper-artefact, détruisant ce que la ‘théorie’ du genre avait cru édifier sur un mode critique, où le sexe semblait voué à ne plus être qu’un fossile de notre préhistoire. » On pourrait conclure par ces mots sur lesquels se termine le rare film interrogeant le puritanisme américain, Eyes Wide Shut, de Stanley Kubrick : « Let’s fuck ! »

 

Éric Marty, Le sexe des Modernes, Pensée du Neutre et théorie du genre, éditions du Seuil, Collection « Fiction & Cie »

Andy Warhol, "Portrait as a drag",© The Andy Warhol Foundation for the Visual Arts / ARS, New York. Credit : Butler Family Fund, 2003.

Andy Warhol, "Portrait as a drag",© The Andy Warhol Foundation for the Visual Arts / ARS, New York. Credit : Butler Family Fund, 2003.

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