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Blog littéraire.


Une sortie de l'écriture

Publié par olivier rachet sur 16 Mars 2022, 10:40am

    Il y a toujours quelque chose d’oulipien dans les dispositifs de lecture de Philippe Jaffeux. Son dernier ouvrage, Livres, ne déroge pas à la règle, puisque ce recueil poétique « tente, selon son auteur, d’évoquer la présentation de deux livres en un seul ». Sur la page de gauche, un texte, le plus souvent composé de phrases simples affirmatives, comporte des espaces blancs, des béances dont la solution est à lire sur la page de droite, laquelle porte la même numérotation. Dispositif dont on peut commencer par dire qu’il est farouchement anti-numérique tant il implique la nécessité d’une lecture tactile, comme dans l’écriture braille. Un texte donc à l’usage des aveugles et de ceux qui pensent voir, quand l’auteur semble nous rappeler que leurs sens sont désespérément anesthésiés. Une citation ne suffit pas à rendre compte de ce plaisir qu’il y a à découvrir un texte avec ses doigts, mais essayons toujours ! « Des trous instrumentent / une illumination / qui / assiste / les retours irréguliers d’un choc évident / Des oublis décisifs questionnent / le déraillement / d’une pensée qui déchiffre des hésitations aveuglantes ». Choc, illumination, déraillement: voilà de la poésie concrète ou je meurs! L’image, poétique, pas celle fossilisée des réseaux sociaux, est omniprésente dans ce recueil, non comme un horizon à atteindre, mais plutôt comme une structure formelle qui ferait apparaître et proliférer toute l’opulente richesse inouïe de la matière. Car la matière, sous sa forme minérale, animale, végétale est omniprésente dans Livres. Aux antipodes d’une poésie qui ferait la part belle aux confessions intimes, aux embarras sexuels, aux petites angoisses familiales, mais aussi à la naïveté des contemplations régressives devant je ne sais quel soleil couchant au cou coupé, la poésie de Jaffeux vise en permanence « l’expansion d’un chaos incréé ». Le texte qui se trame n’est plus seulement un tissu qui s’effiloche, mais « un réseau de crevasses », « un espace projeté sur des instincts reptiliens », « une plante rayonnante ». Dans la lignée d’un Mallarmé, le poète affronte en permanence la menace d’un délitement, qui peut être tout autant celui du sens en train de se tramer qu’un angoissant naufrage intérieur. Qui n’a pas éprouvé en soi ces assauts imminents de la catastrophe ne sait pas ce qu’est la poésie. Aussi ne s’étonnera-t-on pas qu’il soit aussi question ici d’effroi, de « mots démolis », de « sabordage », de l’état de « délabrement d’/un texte » ou des « ruines d’/une page ». Une poésie plus objectiviste qu’oulipienne au final. Comment résumer Livres ? En parlant comme le faisait peut-être Ponge d’un « ob-jeu » qui, dans une tradition toute taoïste, se construit autour d’un « vide / jubilatoire », où le sens en permanence s’échappe dans les interstices d’un texte à trous. Cette déprise, tout aussi angoissante que jouissive, est sans doute aussi celle du corps qui se sait mortel, comme l’est d’ailleurs toute écriture : « La souffrance d’un texte amputé altère / une langue / cachée derrière des béances traumatisantes ». Un coup de dés jamais n’abolira le hasart...

 

Philippe Jaffeux, Livres, éditions Paraules

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