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Blog littéraire.


La fin d'un monde

Publié par olivier rachet sur 25 Juillet 2023, 14:54pm

   « Nous n’avons pas eu affaire à une pandémie, mais au spectacle d’une pandémie », tranche d’entrée de jeu Mehdi Belhaj Kacem dans Le Mythe transhumaniste, une discussion philosophique menée tambour battant avec l’anthropologue chrétienne Marion Dapsance sur « les tenants et aboutissants de la ‘crise Covid’ ». Crise dont on comprend à lire ce réquisitoire implacable qu’elle fut moins sanitaire qu’anthropologique. Un basculement a eu lieu dont on tarde à mesurer les effets tant les dénégations sont nombreuses de la part de tous ceux qui ont accepté sans broncher un ensemble de mesures liberticides et de régressions civilisationnelles impensables, il y a encore quelques années. « Plus de travail pour certains, plus d’activités sportives ou artistiques, plus de musées, plus de bibliothèques, plus de rencontres possibles hors de chez soi ou avec des amis, et avec l’introduction du ‘Super Green Pass’, encore plus ‘Green’ que le précédent, plus même de bus ni de trains, plus de magasins non alimentaires ou pharmaceutiques, plus de poste ni aucun service public ». Ni de possibilité d’accompagner les siens dans leurs derniers jours. Antigone a dû se retourner plus d’une fois dans sa tombe ! Un double mouvement d’appropriation et d’expropriation des corps a eu lieu dont on peine à mesurer les conséquences. Réduit à ses fonctions purement biologiques, le corps humain a subi l’une des tentatives de contrôle – qui rappelons-le fut planétaire comme en témoigne le Grand Enfermement que l’on dut subir à coups de tracasseries administratives quotidiennes –, les plus nocives peut-être de l’Histoire. S’il faut se garder de tout discours emphatique qui n’a pour effet que d’activer chez les plus incrédules le reproche si risible de « complotisme », essayons de regarder, la tête froide, ce qui est arrivé au corps humain. « On pourrait à cette lumière, explique Belhaj Kacem, dire que le corps, c’est ‘l’évènement originaire’, l’évènement des évènements, et qu’en effet, à partir du moment où vous ôtez au corps la possibilité animale la plus innée, celle à point nommé de s’auto-appartenir, vous commettez le premier des crimes ». Regardez autour de vous : combien sont encombrés par leur corps, aspirent à une humanité augmentée tant leur vie est rabougrie ! Combien sont nombreux ceux qui restent toujours écrasés par un sentiment de culpabilité dont on rend responsable autrui en le harcelant ou en le martyrisant ! « Qui a renoncé à dépenser sa vie, écrivait Debord, ne doit plus s’avouer sa mort » : nous y sommes ; ainsi peut prospérer le règne d’une technoscience dont le philosophe a montré dans d’autres ouvrages (Dieu : la technoscience, la mémoire et le Mal, aux éditions Les liens qui libèrent) qu’elle était devenue le nom même de dieu dans la volonté de puissance qui est la sienne. Pourquoi s’étonner encore de ces appareillages technologiques qui asservissent les esprits et entravent les corps, rendant caduque toute possibilité de rencontre et de bifurcation ? Une tyrannie est en marche, Belhaj Kacem en est convaincu, et nous ne voulons pas la voir.

   Ce basculement anthropologique, il suffit de le nommer : le mythe transhumaniste qui donne son titre à l’ouvrage. Revenant sur ce qu’il juge avoir été des erreurs de perception antérieures, le philosophe soutient que « l’homme a toujours été transhumain ». Rien de nouveau sous le soleil donc : « Or, explique-t-il, c’est la définition que je donne de l’homme lui-même, depuis l’avènement de Cro-Magnon, dans mon travail : la chasse, l’agriculture, la sexualité différée, l’art rupestre, l’habillage, etc., sont des phénomènes en effet d’augmentation exponentielle des puissances physiques simplement animales par l’astuce technologique ». L’homme n’est donc pas fait, comme le pensait Nietzsche, pour se dépasser : « L’homme est l’animal qui par excellence se dépasse soi-même, depuis qu’il est ce qu’il est ; il a rompu les lois de la simple évolution pour se précipiter dans ‘une fuite en avant quantique’ où la technologie, en effet, n’a cessé de ‘l’augmenter’ ». Le programme de « Grande Réinitialisation » lancé en 2020 par le président du Forum économique mondial, Klaus Schwab, en serait la preuve irréfutable, sauf qu’il joint à cette aspiration transhumaniste le pire des programmes eugénistes. Et la répétition générale qui fut celle de la crise du covid ne dit pas autre chose : seul s’en sortira un petit nombre d’élus jugé apte à accepter les nouvelles modalités de contrôle de l’existence. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, renchérit Belhaj Kacem, « c’est l’homme qui doit être au service de la technologie, pas l’inverse ».

   Pour autant, le livre n’a rien d’apocalyptique. L’échange entre les deux interlocuteurs fait apparaître les conditions d’émergence d’un nouvel humanisme qui repose déjà sur des solidarités locales, des nouvelles modalités du savoir et des formes renouvelées de résistance ; il est vrai sévèrement punies. C’est fort de la connaissance que nous saurons avoir des rapports de force à l’œuvre dans cette digitalisation de nos vies, qu’il serait vain de chercher à anéantir, qu’il sera possible de déjouer les formes inédites de conflictualités qui n’attendent que de nous asservir. La résistance ne fait que commencer.

 

Mehdi Belhaj Kacem, Marion Dapsance : Le Mythe transhumaniste, Discussion philosophique sur les tenants et aboutissants de la ‘crise Covid’, éditions Tinbad

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