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Blog littéraire.


Révolution intérieure et transfiguration urbaine

Publié par olrach sur 22 Septembre 2013, 11:43am

 

          « J’ai tout abandonné : clefs, argent, papiers. » Tel aurait pu être le point de départ du dernier roman de Yannick Haenel, tel est l’aboutissement de La Conjuration de Philippe Vasset qui se propose non seulement de ré-enchanter l’espace urbain mais d’accomplir aussi une révolution même des sensations. Le narrateur est un promeneur solitaire qu’inquiète la disparition programmée dans le tissu urbain des terrains vagues, de ces zones blanches et inaccessibles que seuls quelques paranoïaques fuyant les ondes électromagnétiques recherchent peut-être encore. La ville que décrit l’auteur est devenue un réseau complexe de constructions et de bâtiments dont la force centrifuge annexe toujours plus la périphérie de nos villes. La société du spectacle, déjà sous la plume de Guy Debord, s’incarnait dans un aménagement dénaturé du territoire.

           En errance, le narrateur retrouve André, une ancienne connaissance, auteur dans les années 80 de thrillers politico-financiers. Face à la déferlante religieuse et à ses innombrables avatars, les deux amis vont conjuguer leurs efforts et partir en quête d’un espace non encore passé sous la coupe de promoteurs véreux et ce, afin d’en confier l’usage à une des sectes de leur choix. Devenu consultant en implantation religieuse, le narrateur mène alors une étude approfondie du terrain dont l’hilarité n’est pas la moindre des réussites. Il sera guidé en cela par une jeune femme, Jeanne, qui lui permettra de s’immiscer dans les recoins les plus inaccessibles de l’espace urbain.

            Mais les recherches tourneront cours. Dans une scène mémorable, le narrateur sabordera le projet initial devant la consternation de deux représentants de la Miviludes, organisme gouvernemental censé lutter contre les dérives sectaires. C’est alors que le roman entre, à l’instar de celui d’Haenel, dans une phase éblouissante placée sous le signe de la conspiration et de la quête du sublime à la fois. Grâce au savoir-faire acquis aux côtés de son initiatrice dans l’art de l’effraction, le narrateur déserte l’espace social et tel un virus informatique détruisant à petit feu un réseau, pénètre dans les interstices de la ville, de ses marges les plus reculées. A l’image des moines méditant à l’intérieur d’un cloître, les conjurés qu’entraîne dans sa dérive le narrateur recherchent « l’infinie liberté de n’être personne ». Le rite anonyme accompli par ce roman exceptionnel n’est d’ailleurs pas sans rappeler les conseils, cités par Philippe Vasset, et qu’adressait Georges Bataille aux membres de la revue Acéphale conviés à accomplir d’insoupçonnables cérémonies, au pied d’un chêne foudroyé, en plein cœur de la forêt de Marly : « Souviens-toi que la vérité n’est pas le sol stable, mais le mouvement sans trêve qui détruit tout ce que tu es et tout ce que tu vois. » Admirable !

 

Philippe Vasset, La Conjuration, Editions Fayard.

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