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Blog littéraire.


La vertu des autodidactes

Publié par olivier rachet sur 9 Septembre 2022, 08:43am

   Avec Commencements, Catherine Millet renoue avec la veine autobiographique et revient sur sa découverte fortuite, à la sortie de l’adolescence, de ce qu’on appellera par la suite l’art contemporain. Une rencontre hasardeuse qui coïncide avec ce coup de dés permanent que deviennent alors les arts plastiques, dans le sillage du dadaïsme et du surréalisme. L’adolescence, tout d’abord, dans les allées bordées de platanes qui mènent au lycée Albert Camus de Bois-Colombes que l’auteur de ces lignes a parcourues aussi dans d’autres circonstances. Dans les cafés où la jeune lycéenne croise du regard quatre jeunes hommes qui travaillent à la publication de la revue Strophes ; l’un d’entre eux n’est autre que Daniel Templon qui deviendra le compagnon de l'auteur. Plongée dans les livres et la littérature romantique que l’on rencontre à cet âge : « Lire et relire ces phrases, écrit la romancière à propos de Lamartine, fut ma première approche de la beauté en tant que sortie de soi. » Nous sommes dans l’après-guerre et mai 68 approche à grands pas. Le corps se découvre libre sans trop le comprendre. Libéré des contingences familiales, géographiques, sociales. L’affranchissement est alors à portée de main et il n’est pas étonnant qu’une des lectures marquantes de cette époque soit celle de Nadja d’André Breton. « Celui qui s’évade se fiche pas mal de là où il va s’échouer, il ne pense qu’à ce qu’il fuit », écrit la narratrice qui, quelques pages plus loin au sujet de sa relation naissante avec Daniel Templon ajoute : « [...] notre propre ambition, pour l’heure, était simplement d’échapper au règne végétal qui veut qu’une plante pousse là où elle a été plantée. »

   Le corps se libère, répétons-le, là où il semblerait qu’aujourd’hui, seule la parole soit tenue de se libérer, mais de quelles pesanteurs, de quels empêchements, de quelles névroses, de quelle peur de vivre ? Le plaisir n’est qu’une évidence qui s’offre à vous, s’il vous est donné de chérir la liberté. L’existentialisme n’est pas loin, mais débarrassé de tout impératif de moralité : « Quand l’esprit est vacant, le corps l’envahit. Le premier usage de la liberté qui fut à ma portée fut au service de la volupté. » Ce point de rencontre dont parlait Breton où les contradictions semblent s’annuler, il peut être donné d’en vivre l’expérience chaque jour, dans une galerie d’art ou une simple partouze : « Comme je l’ai dit, je prenais les choses comme elles venaient, et je les prenais ainsi dans une galerie d’art comme je les avais prises à Sathonay, au-dessus de Lyon, pour ma première partouze. [...] Depuis la plus petite enfance, j’occupais la place de l’observatrice et, par définition, les observateurs attendent de voir. » Cette position d’observatrice voit Catherine Millet découvrir ce qu’on appelle alors les avant-gardes, c’est-à-dire autant d’artistes le plus souvent autodidactes pour lesquels l’art devient un jeu d’enfant avec les formes et les matières, libéré de tout impératif de représentation. Nouveau Réalisme, Figuration Libre, Art Conceptuel dont elle deviendra l’une des spécialistes : la jeune fille arpente les nombreuses galeries de la rive droite parisienne, sans trop se soucier des étiquettes. Elle se rend en compagnie de Daniel Templon à Cassel, puis à New York, Venise ; et pour paraphraser Breton, l’amour continue de se faire dans les espaces d’art et les foires, comme dans un lit. On mesure peut-être l’écart qu’il y a avec l’esprit de sérieux mercantile qui sévit aujourd’hui dans ces lieux de passage ou de transit plus que de rencontres. Aux étincelles et à la beauté convulsive semble avoir succédé parfois un certain penchant pour la laideur et un art pompier qui s’ignore.

   L’autodidacte qui s’essaie à la critique d’art, dans Les Lettres françaises notamment, apprend donc, comme dans ses partouzes, sur le tas. Sans a priori, sans jugement surplombant. Un regard se forge en regardant ; faut-il rappeler une telle évidence ? « C’était un art de fugitifs s’échappant du vieux monde où se lisaient encore les stigmates de la guerre, pour s’installer en terre inconnue et, ainsi que font les pionniers, tout fabriquer de leurs mains à partir de rien [...] à Klein, la monochromie, à Arman, l’accumulation, à César, la compression, à Christo, l’empaquetage...». « J’étais sincèrement intéressée, écrit quelques pages plus loin la narratrice, par ces artistes qui ne représentaient plus la réalité, mais plutôt la mettaient en crise, ou qui prenaient pour sujet d’étude l’art lui-même » : un manifeste du savoir- regarder à l’usage des jeunes générations ne jurant que par les vertus (ou les vices) de la reproduction technique via les réseaux (a)sociaux. « L’imaginaire dont je dispose, écrit aussi Catherine Millet, est un corps gazeux », perméable donc à toutes les expériences érotiques et à toutes les aventures artistiques ; clé peut-être aussi de sa passion jamais démentie pour la peinture de Salvador Dalí, peintre à l’univers gazeux en ce sens qu’il est soumis à des métamorphoses incessantes.

   Ces années d’apprentissage verront enfin Catherine Millet rencontrer Jacques Henric, créer art press dont il paraît que l’on fête cette année le cinquantième anniversaire. La critique d’art se porte bien, merci, mais elle reste toujours à recommencer.

 

Catherine Millet, Commencements, éditions Flammarion

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